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Quand l’oreille voit ou la liberté retrouvée

Découvert par hasard à Moscou, par Bruno Monsaingeon qui l'a préfacé, ce livre doit être considéré comme le complément indispensable de celui que le même Bruno Monsaingeon a consacré au pianiste russe, Richter, écrits, conversations, publié déjà chez Actes Sud en 1985.

Son auteur, âgé de 23 ans, est alors metteur en scène de théâtre, d'opéra et de cinéma. Le jeune homme devient vite son ami, le suivant dans ses promenades ou bien l'écoutant, chez lui, jouer ou parler, au pied du piano.

Les pensées mêlées aux rêves se succèdent sans aucune logique ou association d'idées, au gré de ce que joue ou ce dont il se souvient. Noces de la mémoire et de l'imaginaire dans et par la musique, jaillissements de trouvailles qui s'évanouissent aussitôt nées et laissent place à d'autres, tout aussi inattendues, faites pour étonner, pour rendre à l'auditeur comme à l'artiste sa part d'enfance heureuse, à travers la liberté retrouvée de la parole, délivrée des analyses, des interprétations freudiennes dont il se moque, du rationnel, du désir de donner du sens à tout. Liberté totale pour que vivent ensemble les rèves et le mystère de la musique. «Mes rèves, précise-t-il, sont directement liés à la musique que je joue. Au cours de ma vie, j'ai noté probablement autant de rèves que j'ai joué d'œuvres musicales». Ainsi, jouant une étude – tableau de Rachmaninoff, il s'est vu avalant une cloche. Son immense culture, dans tous les domaines, forme un creuset où il puise pour retrouver l'étonnement, l'espièglerie de la jeunesse, pour le guérir aussi, comme le homard en celluloïd dont, dans les années 70, il ne pouvait se séparer (cf. livre de B. Monsaingeon).

Parmi les souvenirs de Richter apparaissent Neuhaus, Gavrilov, Sofronitski, Fischer-Dieskau et combien d'autres, au milieu de Proust, de Racine, de Shakespeare, il nous confie que le lied de Schubert Der Wanderer est son œuvre préférée, son étoile ; on le voit jouer Debussy non sans décrocher le portrait de Tchaïkowski, pour ne pas le rendre jaloux. On lit que Mouvements de Stravinski le fait rêver à un fœtus bleu, que les Mazurkas de Chopin évoquent de petits palmiers bien plantés, que, c'est décidé, le mouvement lent du Concerto en si bémol majeur de Mozart, c'est Marlène et le Larghetto du dernier, la femme de Tchekhov. Pour sa biographie, ses étapes suivront Le Clavecin (sic) bien tempéré, Livre II, de J. S. Bach. Soit : premier prélude : «je vois Papa à l'orgue…» un autre, et voici la Vierge Odigitrie qui lui parle du miracle de Théophile, puis un autre, et c'est la Penthésilée de Kleist. Quant à la violoncelliste Natalia Gutman, devinez, nous sommes devant le Minotaure.

Admirablement traduit, l'ouvrage nous donne l'impression d'être avec Richter, à Moscou, dans son univers mental tellement russe, au fond, de rire avec lui et de le voir tel qu'il est, si simple, si vrai, et un peu Ariel !

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