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Le retour d’Armide par Robert Carsen et William Christie

Dernière œuvre écrite par le poète Philippe Quinault et mise en musique par , Armide fut et reste encore aujourd'hui l'un des plus grands chefs-d'œuvre du baroque.

Au sommet de leur art, les deux artistes abandonnent les Métamorphoses d'Ovide en tant que source d'inspiration pour se tourner vers le poème chevaleresque La Jérusalem Délivrée du Tasse qui retrace la guerre entre chrétiens et musulmans. Ce récit largement fictionnel s'adapte bien à leurs intentions. Le tourment émotionnel des personnages, partagés entre leurs sentiments et devoirs reste une source de grande passion lyrique.

De style typiquement « Carsen », la mise en scène joue sur les contradictions de style, de couleur, d'interprétation du livret. Un maxi écran sur scène a annoncé une visite (filmée) de Versailles, simulée en salle par le chœur parmi les spectateurs et expliquée sur scène par la Sagesse et la Gloire, en tailleur gris et baguette-fouet noire, oscillant entre des professeures pédantes et des femmes en talons dans des pratiques sado-masos. Après ce début bouleversant, tout a été une sorte de répétitions de lieux communs à partir de l'élément fétiche, sexuel par définition : le lit (du roi, de Renaud, d'Armide), jusqu'à la caractérisation d'Armide mi-Circé, mi-Salomé.

La scénographie et les costumes ont fait alterner à la couleur gris-argent symbole du sommeil, de l'ennui, de la tristesse et de la mélancolie, le rouge brillant de l'amour, de la passion, du sang, de l'érotisme, du diabolique, de la haine, de l'égoïsme, de l'amour infernal. C'est pourquoi le « bon » Renaud renonçant à la luxure à la fin de l'opéra change ses vêtements gris avec les rouges d'Armide.

Dans ce portrait scintillant bicolore, la chorégraphie contemporaine de associée à la musique a déterminé une tension et un déséquilibre qui, contre toute attente, produit une émotion à la fois inattendue et étrange. La chorégraphie, calquée sur le langage des signes, paraît se moquer ici et là des excès de l'époque.

On se serait attendu à quelque chose de plus de la part de l'Orchestre des Arts Florissants dirigé du clavecin par . L'orchestre peine à trouver son équilibre et les percussions manquent souvent de précision. Les chanteurs, confrontés à un livret complexe, suscitent bien l'émotion décrite ou évoquée par les paroles grâce à la prononciation des consonnes et des voyelles, si importante dans la rhétorique baroque. La déclamation lyrique créée par Quinault, très respectueuse des sonorités, des intonations et des accents toniques de la langue française a été parfaitement respectée par tous les chanteurs. Stéphanie d'Oustrac dans le rôle d'Armide s'est imposée sur scène avec une présence éclatante. Sa voix de mezzo-soprano d'une forte intensité dramatique et d'une égale sensualité a éclipsé un Renaud () un peu trop ensommeillé. Son timbre de ténor aigu séduit par une certaine fragilité mais ne traduit pas son conflit intérieur. Ses valeurs martiales tel que l'honneur, la justice, la fierté masculine ne sont pas déclinées en tant que tourment émotionnel mais comme simple représentation d'un conflit quotidien. Quant à la Haine, Laurent Nouri joue son rôle avec un certain humour qui touche au ridicule à cause du déshabillé rouge qu'il porte.

Bien réussi en revanche le grand moment de l'opéra avec l'extraordinaire passacaille en sol mineur considérée comme le testament libertin de l'époque qui, selon les vœux de Lully, devrait entrainer l'auditeur dans une sorte d'enchantement et de transe…

Crédit photographique : Stéphanie d'Oustrac (Armide) © Alvaro Yañez

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