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Grieg admirablement défendu par ses compatriotes

Sous une présentation quelque peu similaire à celle des coffrets de la Sibelius Edition, BIS nous propose une intégrale de la musique orchestrale d' (1843­1907) en huit CDs pour le prix de trois. Précisons d'emblée que non seulement les inconditionnels du grand maître norvégien seront comblés, mais également tout mélomane sensible à la lumineuse beauté et la poésie chaleureuse si particulière à son art.

Cet art qui anticipe bien souvent celui de Claude Debussy, quand il ne fait pas de Grieg un cousin artistique du maître français : écoutez, pour en être convaincu, Le Rêve de Borghild de Sigurd Jorsalfar, ou surtout, de la Suite Lyrique op. 54, le Nocturne que l'on dirait de la main même de Claude de France !… Et en effet, «Lyrique» est précisément le terme qui qualifie le mieux toute l'œuvre de Grieg.

Son parcours symphonique débute avec la Symphonie en ut mineur (1864) composée sous l'impulsion du Danois Niels Wilhelm Gade qui lui aurait dit : «Rentrez chez vous et écrivez une symphonie !» Grieg, le prenant au mot, en écrivit donc une sous forme classique en quatre mouvements, le premier étant en forme-sonate avec reprise de l'exposition. Œuvre vraiment attachante révélant d'emblée la personnalité du compositeur, mais que ce dernier renia après l'avoir comparée à une page similaire de Johan Svendsen. Ce n'est qu'en 1981 que cette belle partition fut révélée au public grâce à un enregistrement Decca (4768743) par Karsten Andersen à la tête de cette formation même que nous retrouvons ici, l'excellente Philharmonie de Bergen.

Vient ensuite l'Ouverture de Concert En Automne (1866) dont le titre pourrait induire un caractère pastoral, alors que l'œuvre est d'un dramatisme assez violent, inattendu chez le compositeur ; une autre forme de dramatisme allait marquer la Marche funèbre pour Rikard Nordraak (1866), en hommage à son meilleur ami dont le décès de maladie à l'âge de même pas 24 ans affecta Grieg profondément.

On ne présente évidemment plus ni le Concerto pour piano en la mineur (1868) ni les deux Suites de Peer Gynt issues de la musique de scène (1875) pour la pièce d'Henrik Ibsen. Non seulement les deux Suites font partie de ce coffret, mais aussi la version de concert de la musique de scène intégrale, avec dialogues parlés assurant le lien entre les parties musicales. On appréciera également l'intégralité – hormis les fanfares – de Sigurd Jorsalfar (1872), plutôt que les seuls trois extraits s'achevant sur la fameuse Marche d'Hommage.

Un CD tout entier est consacré à la musique pour les seules cordes convenant idéalement aux miniatures intimistes de Grieg, et où le compositeur excellait particulièrement. À part la Suite Holberg (1885), certaines de ces pages (dont les Deux Mélodies Élégiaques de 1880) sont adaptées de mélodies vocales antérieures.

Enfin il convient de mettre en évidence les deux chefs-d'œuvre orchestraux de Grieg : les quatre magnifiques Danses Symphoniques (1898) dont les quatre Danses Norvégiennes (1881) semblent être finalement une sorte d'ébauche (très réussie !) ; et surtout cette admirable Vieille Romance Norvégienne avec Variations (1903), modèle de subtilité et de raffinement orchestraux, que Sir Thomas Beecham avait défendue en son temps. Par ailleurs, Grieg était un maître de la mélodie vocale avec orchestre, et ce splendide album nous le rappelle opportunément, avec en prime les fragments de son opéra sous forme de trois scènes Olav Trygvason (1888).

Quant à l'interprétation de l'ensemble, elle est exhaustive de la part des tous les participants, enthousiasmée et enthousiasmante, passionnée et passionnante, à tel point qu'elle surclasse aisément celle de Neeme Järvi, déjà pourtant remarquable (DGG 4713002). L' avait des liens étroits avec le compositeur, et il est évident que ces liens subsistent spirituellement. La mondialisation privant les phalanges de leur caractère, il est réjouissant qu'une formation puisse encore se distinguer par sa personnalité et sa couleur orchestrales. Écoutez donc le hautbois : c'est l'un des plus beaux que l'on puisse entendre actuellement ; il possède la sonorité exceptionnelle du hautboïste allemand Lothar Koch, avec en plus cette charmante touche pastorale si appropriée à la musique de Grieg.

Maintenant, un seul léger regret, et il est relatif à Peer Gynt : la langue norvégienne est loin d'être connue du commun des mortels, et la solution hybride proposée ici avec dialogues de liaison et même – plus gênant – dialogues couvrant souvent la musique, nous paraît non seulement insatisfaisante, mais même à la longue agaçante, d'autant plus que la moitié du texte n'est pas traduite dans la brochure ; d'un autre côté, la pièce d'Ibsen atteignant des durées wagnériennes, il était bien sûr impensable de l'enregistrer intégralement. Il eut donc mieux valu enregistrer toute la musique et rien que la musique, tout en gardant imprimés les textes de liaison avec cette fois leur traduction complète. Pour cette seule raison, il est préférable d'écouter la musique, seule et complète, dans la belle version de Per Dreier et l'Orchestre Symphonique de Londres chez Unicorn… mais ce label n'existe plus hélas !…

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