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Du Prokofiev, sans doute, mais du Temirkanov, sûrement !

Quelques jours après les concerts de Valery Gergiev à Pleyel, un autre chef russe nous propose un programme tout Prokofiev. et son reviennent pour deux concerts au Théâtre des Champs-Élysées, accompagnés le premier soir par , protagoniste du Concerto pour piano n° 3 et le second soir par pour le Concerto pour violon n° 1. L'an passé, les concerts Tchaïkovski nous avaient bien déçus, en grande partie à cause d'une prestation orchestrale bien approximative et des options interprétatives toujours très personnelles mais pas toujours convaincantes du chef. Alors, allaient-ils en être autrement dans Prokofiev ? La réponse a été franchement oui, et nous avons eu la sensation de retrouver du bon Saint-Pétersbourg, même si tout n'y était pas parfait ni égal, quelques flottements persistaient encore ici où là, mais le tir était nettement corrigé par rapport à l'an passé.

C'est le Concerto pour piano n° 3 qui ouvrit cette série. Composée entre 1917 et 1921, il est un des plus spectaculaires et brillants concertos de son époque, précèdent de peu le premier de Bartók (1926), et annonçant déjà par son traitement très percussif et rythmique du piano, ce que ce dernier réalisera par la suite, en particulier dans son second concerto. Ce n'est toutefois pas cette optique qui a été privilégiée ce soir, même si le physiquement impressionnant ne manquait pas de puissance et se montrait tout à fait à la hauteur de cette difficile partition, mais l'orchestre, après une introduction très réussie, lui donna une réplique, assez belle et respectueuse, mais plutôt ronde et un peu sage qui, ne le mit jamais en difficulté, mais en même temps ne transcenda pas cette partition. Ainsi les passages «implacables» ne le furent pas totalement et les climax orchestraux un peu rabotés. Cette option tout en rondeur et souplesse, parfois franchement ludique, se refusant presque les climax mais pas quelques afféteries, sera, un peu à notre regret avouons-le, suivie par le chef tout au long de cette série, sauf pour la dernière œuvre, la Symphonie n° 5, qui, comme par hasard, s'avérera nettement plus réussie techniquement et intéressante musicalement, et fut l'incontestable sommet de ce cycle.

Le vendredi, se reproduisait avec le même phénomène qu'avec Matsuev deux jours avant, la partie soliste étant de nouveau la plus réussie et la plus passionnante du concerto, comparée au sage accompagnement d'orchestre, qui avait de nouveau le mérite de soutenir parfaitement son soliste, sans contre-sens, en parfaite harmonie, mais sans donner le surplus d'intensité qu'on pouvait attendre. La jeune violoniste allemande fit preuve une nouvelle fois de son grand talent et de son incontestable maturité artistique en nous captivant du début à la fin, sachant varier le jeu grâce à une palette expressive étendue dont elle se servit avec justesse. Certes, on pourrait dire qu'elle maîtrise la partition plus qu'elle ne la domine, tel qu'un Oïstrakh y parvenait, mais ça viendra sans doute plus tard et c'est déjà remarquable.

Pour la partie purement symphonique, le chef a choisit le mercredi des extraits de Roméo et Juliette qui ne correspondaient pas exactement au programme annoncé, ce qui n'est pas bien grave, mais qui nous ont un peu frustrés par leur relative brièveté. On y a clairement eu l'impression que le chef favorisait la succession des événements musicaux, plutôt bien caractérisés, apportant toute son attention à la phrase et aux instruments dominants, au détriment de la profondeur de champ où, comme l'an passé mais à un degré moindre, les parties d'accompagnement étaient quelque peu négligées. Si on compare La Mort de Tybalt, jouée en bis par Gergiev et le LSO, et en conclusion par Temirkanov, la richesse sonore, la puissance expressive, la précision et la force d'impact du premier explosent un peu le second.

Le vendredi Temirkanov nous offrit une interprétation toujours aussi personnelle de la Symphonie n° 1 « Classique » qui démarra un peu vrac, et se poursuivit de façon parfois surprenante, inventive, voire amusante. Il était évident que chef et orchestre s'y sont d'abord fait plaisir, et ont essayé de nous le faire partager, quitte à sacrifier un peu la rigueur musicale. Que nous avons quand même retrouvé à un niveau d'exigence bien plus élevé dans une superbe Symphonie n° 5, puissante, contrastée, charpentée, avec un orchestre bien plus concentré enfin capable de fulgurance. Chef et orchestre y ont manifestement investi plus d'énergie qu'ailleurs. Peut-être ont-ils sagement sauvegardé leur force pour la fin. Mais le résultat fut nettement meilleur.

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