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Peter Erasmus Lange-Müller (1850-1926) – le Danois migraineux

Après les compositeurs danois Hans-Christian Lumbye, Victor Bendix et Louis Glass, voici la présentation d'un autre contemporain de Carl Nielsen, donc Danois également, nommé , personnage singulier né en 1850 et décédé en 1926. Si les circonstances l'avaient permis Lange-Müller aurait pu sans trop de difficulté se hisser au sommet de la création musicale danoise de son temps et connaître une postérité glorieuse. Explication !

Issu d'une famille bourgeoise et cultivée (il fallait trouver et oser le second prénom en l'honneur bien sûr de l'humaniste hollandais du 16e siècle, 1469-1536), il est le troisième enfant de Otto Frederik Müller, juge à la Cour Suprême et de Charlotte Sophie, son épouse née Lange. Son grand-père paternel quant à lui était évêque, historien et philologue. Peter Erasmus vient au monde, le 1er décembre 1850, après une sœur et un frère prénommés respectivement Thomine et Emil et avant une petite sœur nommée Ida.

La famille avait donc donné au pays des hommes d'église, des académiciens et des scientifiques. Malgré ses origines germaniques le clan Lange-Müller était très nationaliste et entièrement acquis à la cause danoise.

La famille est installée dans une belle villa située dans ce qui était alors un faubourg de Copenhague, Frederiksberg Allé. Proche de la ville l'endroit est cependant très rural encore.

Tous vivent donc dans cette demeure, baptisée «Sommerlyst», dont on rapporte l'histoire. L'acteur Niels Peter Nielsen et sa femme Anna, sans liens de parenté avec Carl August Nielsen, le futur compositeur, y ont vécu auparavant. C'est ce même N. P. Nielsen qui avait demandé au compositeur Johan Peter Emilius Hartmann (1805-1900), danois également, d'écrire une musique sur un texte du célèbre littérateur Adam Gottlob Œhlenschläger (1779-1850) Guldhornene (Les Cornes d'or, 1803). A cette époque, pas très éloignée encore la demeure fut fréquentée par des personnalités en vue comme l'écrivain et auteur des célèbres contes, Hans Christian Andersen (1805-1875), Hans Peter Holst (1811-1893), poète et ami de Kirkegaard, le-dit Œhlenschläger, le musicien Niels W. Gade (1817-1890) et la soprano suédoise Jenny Lind (1820-1887), surnommée «le «Rossignol suédois», le poète lyrique danois Christian Winther (1796-1876). Ce dernier est l'auteur d'un poème «Sommerlyst» dont le sujet se concentre sur cette maison et la vie sociale sympathique qui y régnait alors. Sommerlyst peut se traduire par «délice d'été». On y décrit la beauté de l'été, les fleurs colorées, la nature environnante chaleureuse, les chants et danses en toute gaieté. On alla même jusqu'à faire chanter Jenny Lind accompagnée d'un piano placé en extérieur sur les marches afin que la foule de la rue Frederiksberg puisse en profiter.

On rapporte que la maîtresse de maison bénéficiait de quelque talent littéraire. Elle publia sous un pseudonyme, Cornelia, deux livres pour enfants [Claus og Marie (Claus et Marie) et Zigeuneren og hans Børn (Le Bohémien et ses enfants)] qui connurent un succès populaire certain. Son fils Emil écrira aussi. On lui doit notamment le poème Kornmodsglansen (Eclairage d'été) que son frère Peter Erasmus mettra en musique.

On imagine cette vie aisée et culturellement riche comme assez bien représentative de la libération sociale de cet Age d'Or danois. Tout paraissait devoir perdurer pour le bonheur de tous.

Mais lorsque soudain le malheur frappa durement, tout fut brutalement remis en question.

Charlotte Sophie, la mère, décède en 1859. Notre futur musicien n'a que 9 ans. La maisonnée bruyante et heureuse se recouvre d'une épaisse chape silencieuse et douloureuse. Il n'est pas vraiment déraisonnable de situer à travers cet événement dramatique l'apparition du caractère mélancolique de Peter Erasmus. Commencèrent de même à se manifester alors des maux de tête très fréquents et rapidement invalidants. On peut préciser qu'il s'agissait très probablement de violentes migraines pour lesquelles il n'existait pas à cette époque de traitement véritablement efficace. Syndrome dépressif chronique et migraines itératives allaient dorénavant accabler presque tout au long de son existence. Voici qui explique qu'il ne fréquenta pas l'école avant l'âge avancé de 17 ans. Néanmoins, il composa sa première chanson à cette époque approximativement. La musique devenant indissociable de son monde intime.

Avec le temps sa symptomatologie s'intensifia au point que bientôt il ne put continuer à lire régulièrement et moins encore à entreprendre de sérieuses études. Tous les traitements envisageables à cette époque furent essayés, à chaque fois d'abord porteur d'espoir puis bientôt de déception sévère.

Pour l'heure nul ne connaît ni ne reconnaît d'étiologie satisfaisante à ce mal. Les circonstances familiales évoquées, ajoutées au tempérament sans doute naturellement ombrageux du garçon, suffisent probablement à expliquer cette pathologie. La qualité de ses relations inter-humaines et sa musique également portent plus ou moins logiquement l'influence de sa maladie chronique.

En dépit de son handicap fort invalidant le jeune Lange-Müller, âgé de 20 ans, est quand même reçu premier de sa classe à l'Ecole métropolitaine. Depuis l'enfance il apprend le piano et se montre doué. Il a commencé à composer, on l'a dit, dès l'adolescence. Il met en musique surtout de petites chansons ainsi qu'une bien modeste suite pour piano qu'il intitule Images de l'époque de la chevalerie (Billeder fra Riddertiden).

Indépendamment de ces essais vaguement prometteurs le père du garçon envisage pour lui, comme il se doit dans les familles bourgeoises de l'époque, une carrière dans l'administration, dans la fonction publique précisément. Peter Erasmus s'y oppose avec énergie. Il a choisi la musique. La famille très aisée financièrement ne s'y oppose pas vraiment et le jeune homme s'inscrit au conservatoire selon sa volonté.

Malheureusement au bout de six mois environ il se voit obligé d'interrompre ses études en raison d'atroces maux de tête.

Auparavant, il aura reçu à ses débuts des cours privés de piano de la part d'un musicien danois très important à l'époque nommé Gottfred Matthison-Hansen, connu principalement en tant qu'organiste. Egalement compositeur, Matthison-Hansen (1832-1909) occupe plusieurs postes d'organiste importants à Copenhague. Il donne des récitals d'orgue dans le pays et en Allemagne. Professeur d'orgue et de piano au Conservatoire de Copenhague, il laisse des partitions pour son instrument dans le style romantique du temps.

Lorsqu'il quitte l'école en 1870 Peter Erasmus s'inscrit à l'Université de Copenhague en science politique mais aussi au conservatoire (1871) où il reçoit l'enseignement précieux d'Edmund Neupert (1842-1888) pour le piano. Un des meilleurs pianistes scandinaves de son époque, notamment créateur du célèbre Concerto pour piano et orchestre en la mineur d'Edvard Grieg en 1869. Plus tard il émigrera aux USA et deviendra professeur de piano à New York. Mais on l'a dit la santé du jeune étudiant l'oblige à abandonner son apprentissage. Lange-Müller ne deviendra jamais un grand pianiste.

Ainsi fut-il plus ou moins autodidacte, fait peu apprécié à une époque où l'obtention d'un diplôme final garantissait un minimum de sérieux et de considération. On décréta alors, peut-être non sans quelque raison, qu'il ne possédait pas parfaitement son métier de musicien, qu'il manquait de technique et de maîtrise et de plus souffrait de défaillances notables à propos des grandes formes. Son aisance matérielle lui permettra de suivre sa voie sans avoir à se conformer strictement aux normes de l'époque. Sa musique lui rapporta aussi quelques substantielles rentrées d'argent. Pendant un temps il donne quelques leçons privées, entre autres endroits à Kokkedal Manor où il rencontre celle qui deviendra sa femme.

Insatisfait, perturbé, avide d'amélioration de son état de santé, il se désespère et opère alors un changement radical et entre en apprentissage comme jardinier en espérant que la vie en plein air et la verdure seraient profitable à sa santé. Il n'en fut rien malheureusement.

Soulignons accessoirement qu'il aimait particulièrement la mer et que cette passion inspirera certaines compositions. Il se rendit également en Norvège pour y bénéficier de l'air ambiant. Mais rien n'y fit sur sa symptomatologie douloureuse rebelle.

Il s'essaya alors à la peinture mais il semble que ses professeurs lui aient conseillé de ne pas abandonner la musique en raison de ses dons évidents.

Sagement il suivit leur avis. A tel point qu'il effectua ses débuts officiels de compositeur en 1874 (il a 24 ans) avec un cycle de chansons sur des poèmes de son compatriote Bernhard Severin Ingeman (1789-1862), auteur de poésies lyriques. Inspiré par Tieck et Novalis, sa gloire vient de ses romans historiques (à la Walter Scott) et de ses sujets inspirés du Moyen Age nordique de veine romantique. Il s'agit de Sulamith og Salomon (Shulamite and/et Salomon), partition publiée comme son opus 1.

Bien des années plus tard, il se souviendra comment le texte s'éveillait à la vie, comment cette expérience résonnait dans sa tête avec ses affects positifs ou négatifs et encore comment la chanson naissait sous l'impulsion des émotions qui l'envahissaient et le submergeaient. Et de préciser, il a alors soixante ans mais affiche encore un élan juvénile et optimiste : «La musique est l'art qui provient directement du cœur».

Grâce à la richesse matérielle et à l'opulence dont jouissait sa famille, ne connaîtra pas de soucis financier et pourra pour le reste de son existence se dévouer entièrement à la musique principalement comme compositeur.

Au fil des années, il se fit un nom dans le milieu musical danois (essentiellement à Copenhague). Sa réputation alors repose principalement sur ses chansons et ballades. Dans un autre registre et deux ans seulement après ses débuts de compositeur, il fait jouer une première pièce pour orchestre, une très intéressante suite intitulée «I Alhambra». La partition connaîtra une publication sous forme de musique pour piano à quatre mains affublée du label «opus 3». Celle-ci enregistre un beau et durable succès. En peu de temps A l'Alhambra devient une des œuvres orchestrales danoises les plus souvent jouées de l'époque. On en appréciait essentiellement le ton et l'énergie légèrement exotiques.

Le compositeur fut inspiré par sa lecture du livre de voyage de Christian F. Molbech (1783-1857) intitulé Un mois en Espagne (En Maaned i Spanien). Il semble avoir été enthousiasmé par la description romantique et extatique de l'Alhambra présentée par ce texte puis largement désappointé lorsqu'il visitera l'Espagne quelques années plus tard.

A l'Alhambra affiche une atmosphère autant danoise qu'espagnole, ce que les contemporains du compositeur n'avaient peut-être pas parfaitement saisi.

Dès cette première partition orchestrale et plus encore peut-être avec les suivantes, il a été dit et répété que l'orchestration de Lange-Müller présentait des défaillances et des imperfections techniques. On lui conseilla même de ne plus tenter de se manifester dans ce domaine. Alors en rajoute-t-il vraiment un peu trop au niveau de l'orchestration tel un romantique manquant de nuances ? On pourrait penser à cet égard aux remarques négatives similaires adressées à Robert Schumann (1810-1856) en Allemagne. Et, de fait, l'on se trouve parfois face à une certaine opacité, une densité orchestrale massive voire à un climat sombre et secret. Cette sonorité épaisse, pourrait en partie être due à des doublements fréquents d'instruments. Tout ceci est réel mais nullement rédhibitoire et souvent ces traits s'accommodent parfaitement de l'atmosphère requise basée régulièrement sur le caractère mélancolique de la musique et du compositeur lui-même.

Il note dans son journal en août 1974, il a 24 ans seulement, qu'il ne lui reste plus qu'à avancer douloureusement dans la vie avec sa santé délabrée, vers le royaume de l'art, en tentant au mieux de transcender la triste réalité de son existence. Son isolement de la vie musicale, en dehors de la courte période 1879-1883, où il exerce comme chef d'orchestre (il en est plus précisément le directeur adjoint avec Otto Malling, 1848-1915, aussi organiste et compositeur, ancien élève de N. Gade et de J. P. E. Hartmann) au Koncertforening (Société Musicale) dont il a participé à la fondation en 1874, explique partiellement une certaine originalité et une certaine distance d'avec les canons de l'époque. Tout cela demeure en réalité très relatif et Lange-Müller ne sera jamais un grand novateur et encore moins un révolutionnaire.

Lange-Müller, au total, composa un assez imposant corpus. Les chansons pour voix soliste et piano en représentent un pourcentage conséquent. Elles lui apportèrent une franche renommée dans ce registre très apprécié à l'époque. Il s'appuya entre autres sur son ami Thor Lange (1851-1915), un linguiste et diplomate travaillant dans l'administration à Moscou qui assura la traduction de poètes russes et de chansons populaires de Russie ou encore d'autres pays. Il écrivit aussi de la poésie dans un style nostalgique et mélancolique qui retenait assez naturellement l'attention de notre compositeur.

Lange-Müller ambitionnait aussi de se manifester dans d'autres domaines. Celui de l'opéra tout particulièrement… Tout au long de son existence de compositeur, il s'imagina pourvoir connaître la gloire à travers les opéras qu'il façonnerait. Mais chacune de ses avancées se solda par la déception et l'échec. Une terrible déconvenue à chaque fois ! Etait-il définitivement réduit à jouer les seconds couteaux ? Pas nécessairement comme nous allons le révéler à présent.

Dans le domaine du théâtre, genre particulièrement prisé en ces temps, Lange-Müller produisit de la musique pour de nombreuses pièces. Là, il remporta plusieurs succès incontestables et parfaitement mérités.

Par exemple, la musique établie pour I Mester Sebalds Have (1880) de l'écrivain danois Sophus Bauditz (1850-1916) contient deux des plus belles chansons d'amour de Lange-Müller. Par ailleurs, Il était une fois, musique de scène pour le conte de fées de Holger Drachmann, de 1887, a conquis le grade incontesté de comédie nationale. La chanson Midsommer, dit-on, appartient à la culture de base de tout danois.

Lange-Müller et Drachman (1846-1908) collaborèrent régulièrement dans le domaine du drame. Drachmann, en tant qu'écrivain apporte sa touche personnelle à l'expression lyrique danoise ; de plus comme peintre (de la mer surtout) il appartient à l'école de Skagen (du nom d'une ville du nord du Jutland où se retrouvaient de nombreux artistes dont plus tard Carl Nielsen). Les deux personnages s'opposaient par leur tempérament respectif quasi incompatible a priori. D'un côté le compositeur introverti, mélancolique, issu d'une famille riche. De l'autre le littérateur extraverti, enthousiaste, plein d'ostentation et de prétention. Malgré ces différences criantes leur collaboration s'avéra fructueuse en plusieurs occasions.

Il en est notamment résulté : Ved Bosporus (1891), les mélodrames Middelalderlig (1896) et Renaissance (1901). Dans ce dernier opus brillent pour orchestre une fameuse Sérénade et un Prélude d'excellente qualité.

Dans le domaine de la musique chorale, avec et sans orchestre, on retiendra surtout Niels Ebbesen, op. 9, 1878, sur un texte de Carl Gandrup, oublié aujourd'hui. Egalement, Trois hymnes (Tre Salmer), sur des textes de Thor Lange, constituent le meilleur de la production du maître. Citons encore Eclairage d'été (Summer Lightning), op. 10, sur des poèmes de son frère Emil. Un des plus grands succès populaires de Lange-Müller. On compte dans son catalogue une douzaine de chansons chorales et quatuors vocaux.

Il est un autre champ qui retint l'attention de Lange-Müller, c'est celui du piano. Il élabore des œuvres de modestes dimensions affichant un certain sens poétique, des atmosphères lointainement lyriques, parfois voilées et délicates.

Il a laissé assez peu de musique de chambre. Seul son Trio avec piano en fa mineur est une partition majeure appartenant au meilleur de la musique de chambre de tout le Danemark de la seconde moitié du 19e siècle.

Il convient de préciser sans trop insister sur les excellentes relations de notre compositeur avec une partie de la vie musicale suédoise. Par exemple le violoniste et compositeur Tor Aulin (1866-1914) interprètera son Trio pour piano et ses Trois Fantaisies pour violon et piano. Plusieurs années plus tard le même Tor Aulin encore exécutera la Symphonie n° 1 du Danois à Göteborg. Parmi ses meilleurs amis Lange-Müller comptait le grand organiste et compositeur suédois Emil Sjögren (1853-1918). A tel point que Drachmann, moqueur, les surnommait «les inséparables».

Mais revenons vers la vie du compositeur mélancolique et céphalalgique pour signaler son mariage célébré en 1892. Il s'unit avec Ruth Block de seize années plus jeunes que lui. Elle est la fille adoptive d'un consul. En 1897, il achète une propriété située près de Hørsholm, «Sophienberg», appartenant à sa belle-mère (en Seeland du Nord). Il y passera tous les étés restants de sa vie. Les Lange-Müller auront deux filles. Le couple semble avoir vécu heureux et harmonieusement. Toutefois les maux de tête persistent rendant la vie très difficile à Peter Erasmus. Toutes les options susceptibles de lui apporter un soulagement furent retenues et tentées. Il pensa trouver une amélioration en voyageant en Norvège, Allemagne, Autriche, Espagne, France. Il séjourna également à Alger. Rien n'y fit. En désespoir de cause il alla même jusqu'à insister puis exiger des gestes mettant potentiellement sa vie en danger. Ainsi, il força pratiquement un médecin qu'il connaissait à pratiquer une trépanation qui s'avéra rigoureusement inutile.

Cette santé chancelante le conduit à souvent vivre dans l'isolement. Cet état de fait désolant, associé à plusieurs échecs enregistrés par certaines de ses compositions, on pense aux opéras principalement, le conduisent dès le début du XXe siècle à arrêter de composer. Son dernier ouvrage important fut Agnete og Havmanden (Agnete et le triton) pour chœur et orchestre, op. 73. Il date de 1908. Il produira quand même encore trois livres de chansons.

N'avait-il pas interrogé un jour désabusé : «Pourquoi devenir compositeur ? Il y a après tout tant d'excellente musique, nous n'avons pas besoin d'en avoir davantage !». Ce silence quasi total et prolongé ne semble pas dû uniquement à ses problèmes de santé mais également paraît résulter d'une forte opposition à la musique moderne avec laquelle il ne partageait pas grand chose. Bien sûr, on pense immédiatement au rôle de Carl Nielsen en tant que moderniste, modéré, il faut le préciser, qui progressivement occupait une part croissante de la vie musicale danoise.

Ecoutons Lange-Müller : «Carl Nielsen est également moderne en ce sens qu'il voit l'importance de créer un domaine esthétique personnel, de trouver quelque chose de différent qui puisse attirer l'attention et de s'écarter de ce qui a déjà été fait. Ce n'est pas exactement le chemin des grands compositeurs vers Parnasse – leur esprit a été suffisamment puissant pour estampiller l'ordinaire de leur propre marque mais cela est probablement bon aussi pour les petits esprits. Carl Nielsen rappelle un de ces peintres qui peignent chaque chose avec des lignes brisées, avec des petits éclats dégoulinants et par à-coups, des tâches et des carrés, et qui de plus parviennent à une certaine intensité. Il ne dessine jamais une ligne mélodique claire, jamais une conclusion naturelle, mais déstructure, va en tous sens, bouleverse la mélodie et l'harmonie et fait tout cela avec une énergie et une intelligence qui inspirent le respect, mais pas l'amour».

Etonnante déclaration qui réapparaît dans l'esprit pratiquement à chaque génération. Ainsi, quelques années plus tard, Carl Nielsen lui-même restera interloqué par la tournure prise par la nouvelle musique moderne, celle distribuée par Schœnberg en Autriche, Hindemith en Allemagne, Stravinsky en France, et jusqu'au néo-classicisme du Groupe des Six en France aussi. Bien sûr, Bartok doit être compté aussi au nombre de ceux qui changèrent le paysage musical occidental au début du XXe siècle.

A l'inverse, la musique de Lange-Müller s'inscrivit sans heurts violents dans la lignée romantique institutionnalisée par Niels Gade et J. P. E. Hartmann au Danemark. Ce sont probablement ces deux créateurs qui ont quelque peu déstabilisé le classicisme issu des viennois lequel imprégnait largement la production danoise d'avant l'influence à venir de Schumann et Mendelssohn.

Lorsque Nielsen vient au monde (1865) Lange-Müller a déjà 25 ans et lorsque l'on crée la Petite Suite pour cordes du cadet, en 1888, le presque quadragénaire utilise une esthétique bien huilée mais indifférente à toute tentative de modification substantielle. L'histoire de la musique n'est-elle pas ponctuée du cycle répétitif : domination du maître (fixisme), formation de l'élève (acquisition – dépassement – fixisme), bousculement par la nouvelle génération… Démonstration que le vrai et le durable n'ont rien à voir avec la constante métamorphose de la création humaine.

Mais revenons à Lange-Müller qui, en dépit de son long silence créateur, a pu bénéficier en 1925 d'un certain nombre de concerts et de manifestations organisés en son honneur lors de son 75e anniversaire. On lui accorda à cette occasion, par les mains de la reine Alexandrine, la médaille d'or du mérite pour l'ensemble de son activité artistique et une subvention financière de la part du gouvernement. Malgré toutes les difficultés rencontrées au cours de son existence Lange-Müller finit par gagner une large reconnaissance comme compositeur au sein de la vie musicale danoise dont l'essentiel se déroulait dans la capitale, Copenhague.

On donna une soirée de gala au Théâtre royal avec sa célèbre musique de scène Il était une fois. Après le spectacle et la remise de la médaille sus-citée, il assista à une procession aux flambeaux en son honneur. On chanta le Chant du solstice d'été. Le compositeur, pianiste et violoncelliste Louis Glass (1864-1936), parmi d'autres contributions, prononça un important discours. Le gouvernement institua une bourse portant son nom.

Peter Erasmus Lange-Müller disparaît l'année suivante. Le 22 février 1926, il est victime d'un malaise alors qu'il se promenait Rosenørns Allé. Il tombe et se fracture le crâne. Hospitalisé en urgence il décède quatre jours plus tard. Le 26 février 1926. Sa fin semble avoir été aussi précipitée par une pneumonie aiguë intercurrente. La cérémonie des funérailles se déroula dans la cathédrale de Copenhague. Carl Nielsen le suivra dans la tombe seulement cinq ans plus tard, le 3 octobre 1931.

En 1879, Peter Erasmus Lange-Müller avait noté dans son journal : «Le crépuscule est et reste ma vie». Le jour de sa chute, choqué, il avait réussi à prononcer, non sans difficulté, afin de décliner son identité, ces simples mots : «Je suis Lange-Müller, le musicien»… ainsi qu'il le fit régulièrement au cours de son existence. Non sans quelque fierté légitime.

Epilogue médical.

Ce n'est que bien plus tard, alors qu'il était déjà très âgé, que l'on découvrit la cause probable de ses pénibles tourments. Une rougeole contractée dans l'enfance avait causé un dommage oculaire sévère laissant des séquelles responsables de ces douleurs frontales rebelles interminables. Probablement avait-il développé une encéphalite (inflammation du cerveau… et peut-être d'un nerf optique) due au virus morbilleux et régulièrement fatale à cette époque. Bien qu'épargné, il conserva des séquelles tyranniques évoquées brièvement à l'occasion de cette présentation succincte.

 

De quelques œuvres saillantes de Peter Erasmus Lange-Müller

– Survol du reste du catalogue

– Conseils discographiques

Le monde occidental raffole des tiroirs, notamment des tiroirs esthétiques. Plus on remonte dans le temps et plus toute classification stylistique musicale s'avère aisée. En ce qui concerne Peter Erasmus Lange-Müller l'analyse est en définitive assez simple.

On soulignera l'influence initiale, assez évidente, de son contemporain et compatriote Johan Peter Emilius Hartmann, né presque un demi-siècle avant lui en 1805. L'influence du romantisme du temps ne fait aucun doute. Notamment celui développé avec succès en Scandinavie par Niels Gade venu au monde trois décennies avant Peter Erasmus (en 1817). Parmi les autres influences notables on signalera celle de Peter Heise (1830-1879) et plus largement celles des compositeurs allemands Robert Schumann (1810-1856), Félix Mendelssohn (1809-1847) et Louis Spohr (1784-1859), violoniste et chef d'orchestre, dont la musique est célébrée dans l'Europe entière.

L'apport d'éléments plus personnels le positionne comme un proche du post-romantique (ce qu'il n'est pas tout à fait) teinté d'émotion et de riches harmonies plutôt sombres. Il existe peut-être des réminiscences de Brahms (1833-1897) et de la musique française contemporaine. Il en ressort une atmosphère nostalgique peu souvent rencontrée dans la musique danoise.

On répète souvent que son orchestration manque parfois de précision, de savoir théorique et qu'il affiche à l'occasion une certaine maladresse.

Dans le domaine de la chanson il fait montre de grandes qualités mélodiques, naturelles et mélodieuses, lyriques et sensibles. Son expression est par ailleurs proche de la chanson populaire médiévale et de la tonalité danoise nationale exprimée par Hartmann et par Heise.

Esthétiquement et globalement, il est évident que sa musique appartient pleinement à une génération antérieure à celle développée par Carl Nielsen quelques années avant son silence créateur.

Certaines pages offrent une touche impressionniste (faisant probablement de lui un très lointain précurseur de Debussy), un peu à la manière d'un Moussorgski. Mais rien de probant à ce niveau. Dans l'ensemble, la musique vocale domine quantitativement son catalogue. Lange-Müller composa environ 200 chansons. Il en orchestra quelques-unes. Beaucoup sont devenues populaires. Dans ce registre il domine largement ses contemporains. On le considère comme le digne successeur de Heise dont la renommée repose à l'évidence sur ses nombreux lieder sur des textes danois. Il permet l'avancement de ce genre vers l'atmosphère post-romantique. Il élabore Le premier il élabore de belles et larges mélodies. Son harmonie est raffinée et sa mise en valeur des atmosphères poétiques est souvent remarquable.

Son intérêt pour la description lyrique de la nature et l'exposition du sentiment de la tendresse de l'âme le caractérisent correctement. Les poèmes de son ami Thor Lange, un ancien camarade d'école, installé dans une propriété en Russie, le charment et l'inspirent régulièrement. La poésie russe et le folklore slave plus largement lui procurent aussi une source de travail intéressante. Il met encore en musique des poètes de qualité comme les Norvégiens Henrik Ibsen (1828-1906) et Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910) ou encore le Danois Holger Drachmann. Dans le domaine de la chanson il se positionne comme l'un des meilleurs et plusieurs de ses items appartiennent pleinement au meilleur de l'héritage danois. Son abondant catalogue pour voix soliste et piano s'étale entre 1874 (op. 1) et autour de 1910.

Lange-Müller, en matière de musique de scène, développe un réel talent et réussit à traduire musicalement diverses atmosphères avec brio. Dans cette catégorie il fournit des œuvres immortelles sur lesquelles le temps n'amoindrit ni les qualités intrinsèques ni l'impact sur le public.

Sans doute se positionne-t-il comme le principal créateur suivant le romantisme et précédant le post-romantique danois avant l'arrivée de Carl Nielsen. Il aura participé à une synthèse, personnelle et danoise à la fois, des apports de la musique scandinave et des marques de Schumann, Mendelssohn, Brahms et dans une certaine mesure Richard Wagner (1813-1883).

L'opéra est certainement le genre avec lequel Lange-Müller escomptait profondément gagner un franc et durable succès. Il n'en fut rien. La musique de scène à l'inverse lui apporta beaucoup plus de satisfaction quant à l'accueil public et critique.

En ce qui concerne la musique pour piano, moins salonnarde que chez Gade, moins ambitieuse que chez Carl Nielsen, moins lyrique que chez Grieg, elle demeure très proche des musiciens de l'Age d'Or de la musique danoise encore sourds aux apports germaniques de Mendelssohn, Schumann et même de Louis Spohr. Sans évoquer l'ignorance ou la méconnaissance du langage universel et novateur mis en place par Ludwig van Beethoven, mort en 1827. Tel apparaît le piano de Lange-Müller.

Dans son malheur et ses difficultés Lange-Müller n'aura pas eu à composer pour vivre mais il aura vécu pour composer.

A l'Alhambra (I Alhambra /In the Alhambra), op. 3, 1876, 31'.

L'œuvre se compose des sections suivantes :

Voici la première grande pièce orchestrale du compositeur, originellement composée pour duo de piano et secondairement orchestrée. La création se déroule lors d'un concert de la société Koncertforeningen le 4 mars 1876. La Société étant privée, la presse n'est pas invitée et nous ne possédons donc pas de compte-rendu. Néanmoins le succès et l'avenir de la pièce furent radieux. Deux ans plus tard I Alhambra fut donné de nouveau le 2 mars 1878 par la Koncertforeningen.

L'inspiration lui vint après la lecture du livre de voyage de Christian Frederik Molbech (1783-1857), historien et professeur de littérature danois, intitulé Un mois en Espagne ( En Maaned i Spanien /A Month in Spain) de 1884. Un chapitre y décrit longuement une promenade dans le magnifique palais des souverains maures du sud de l'Espagne (Grenade). Lange-Müller ne fait nullement appel à de la musique maure authentique ou supposée telle. Néanmoins, il flottait dans l'air du temps un intérêt pour les musiques exotiques comme le prouvent la Suite algérienne (opus 60, créée en 1880) de Camille Saint–Saëns (1835-1921) ou encore les Scènes orientales de Otto Malling. Lange-Müller ne parcourera ces lieux que bien des années plus tard, expérience qui ne sera pas porteuse des délices espérés. Il confira : «Mardi, j'étais à l'Alhambra mais ce fut une terrible déception…»

Lors du 70e anniversaire du compositeur, on donna une soirée de gala le 4 décembre 1920 au cours de laquelle le chef Georg Høeberg (compositeur et violoniste danois, 1872-1950) dirigea I Alhambra à la tête de l'Orchestre du Théâtre royal (après l'exécution d'une autre partition de notre compositeur : Renaissance). Cette première exécution de l'œuvre en ce lieu s'accompagna d'un fort succès. Les journaux en parlèrent abondamment dès le lendemain matin. Lange-Müller assista à la représentation en compagnie de ses filles, s'asseyant avec modestie sur un siège sans particularité parmi les fauteuils d'orchestre. Après le tombé du rideau il fut applaudi avec enthousiasme et honoré par trois hourras organisés par le chanteur Poul Wiedemann.

Dès cet opus précoce Lange-Müller se révèle inspiré comme le prouve cette musique délicate, mélodique et atmosphérique. On appréciera particulièrement la réussite et la beauté de la section intitulée Dans le jardin de Lindaraja.

 

La Symphonie n° 1 en ré mineur, Automne, op. 17, 1879, se compose de quatre mouvements : 1. Moderato – Animato, 2. Allegro vivace, 3. Andante, 4. Allegro con fuoco.

Elle est prévue pour des bois par deux, 4 cors, 2 trompettes, 3 trombones, un tuba, timbales et cordes. Durée : 35'.

Elle précède la Première Symphonie en sol mineur de Carl Nielsen d'une douzaine d'années.

Cette première symphonie de Lange-Müller fut essentiellement précédée six ans plus tôt d'un autre travail orchestral dont nous avons évoqué plus haut l'existence I Alhambra. Il aura manipulé encore l'orchestre dans une œuvre chorale et dans son premier opéra. La création se déroula à la Société Musicale le 11 février 1882. Elle sera publiée comme opus 17 dans une version pour piano à quatre mains. Comme le souhaitaient et le pensaient la plupart des jeunes et prometteurs musiciens, obtenir l'avis du célèbre Niels Gade, pouvait décider d'une carrière et d'un succès. L'inverse signifiait souvent l'impossibilité de se faire connaître et reconnaître. Le même Gade statua assez sèchement à l'endroit du jeune compositeur : «C'est long, Müller !». Et, de fait, on la considéra souvent d'une longueur excessive et trop décousue, on lui reprocha également de pâtir aussi d'une orchestration trop faible. Tous ces préjugés ne l'empêchèrent pas de bénéficier très rapidement d'une certaine popularité. A preuve, on la joua une quinzaine de fois du vivant du compositeur. Dans son texte de présentation pour un enregistrement discographique le musicologue danois Mogens Wenzel Andreas précisa opportunément que la Seconde Symphonie en mi majeur de Niels Gade ne fut donnée que deux fois, elle, durant sa propre existence. La symphonie de Lange-Müller fut exécutée encore à Tivoli pendant l'été 1882, puis à plusieurs reprises. En bref, on la joua les 10 et 12 novembre 1903, à la Société Philharmonique ; le 27 mars 1904 aux Palae Concerts (Copenhague) ; deux fois pendant l'été 1904 (à Tivoli encore) ; le 9 mars 1909 et les 4 et 11 décembre 1910 aux Concerts Palae ; le 30 novembre 1920 à la Société Philharmonique ; le 27 janvier 1912 à Göteborg par Tor Aulin avec la Société orchestrale de cette ville. Durant les années 1960 et 1970 la même source nous indique qu'elle fut proposée un petit nombre de fois par des orchestres régionaux de la Radio danoise.

Qu'en est-il plus précisément de cette symphonie et du travail d'orchestration opéré par le compositeur ? Certes l'orchestration ne saurait rivaliser sérieusement avec les plus grands maîtres de la symphonie nordique (Johan Svendsen, Niels Gade, Christian Sinding, Victor Bendix, Asger Hamerich, Ludvig Norman…) ou plus encore occidentale passée (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert…) ou contemporaine (Schumann, Spohr, Borodine, Dvorak, Raff, Rimski-Korsakov, Tchaïkovski, Brahms…). Néanmoins elle ne démérite pas et soutient l'attention de l'auditeur bien au-delà de ce que pourrait laisser supposer certaines appréciations négatives. Si pour certains les couleurs orchestrales supportent la comparaison avec les œuvres de Schumann nous pensons que le cycle symphonique du maître allemand se positionne à un niveau franchement plus génial et singulier.

Le premier mouvement repose sur la forme sonate que Lange-Müller aborde non sans une certaine raideur ; cela laisse néanmoins de la place à une cohérence acceptable, à des passages poétiques voire assez beaux par le biais de réussites inventives aux niveaux mélodiques et harmoniques qui finissent par le rendre attachant.

Lange-Müller a laissé quelques phrases descriptives de son état d'esprit lors de la composition, état d'esprit coloré par la nature en pleine transformation entre la fin de l'été et avant l'arrivée de l'hiver rigoureux et redouté.

Le thème principal est délivré par l'alto s'exprimant au-dessus d'un accompagnement en sourdine et murmurant.

Le second thème suit avec les altos et les clarinettes, dans la tonalité de la mineur. La chanson d'adieu de l'été représente l'apothéose du mouvement. Ce mouvement nous paraît très réussi avec ses mélodies pleines et belles, sa rythmique modérée mais très efficace et par-dessus tout son unité remarquable.

Le second mouvement, un scherzo, est une danse tourbillonnante en la mineur avec un rôle offert à la clarinette solo dans la section médiane. Sans excès de virtuosité mais néanmoins fort dynamique il donne un exemple tout à fait intéressant des qualités potentielles d'orchestrateur de Lange-Müller.

L'Andante, le troisième mouvement, est une section chantante et assez délicate, en ré majeur, toutefois conventionnelle et sans grande originalité, il est vrai. Il manque sans doute de profondeur et constitue sûrement le maillon faible de la symphonie.

Le dernier mouvement représente un peinture musicale de défiance, sorte d'ultime lutte avant l'irruption inéluctable de l'hiver. La section médiane du mouvement se transforme progressivement en passant d'un alla breve (à ¾) vers un tempo istesso movimento. Certains passages évoquent de la musique populaire. On remarquera de plus un traitement assez intéressant et personnel des cordes.

L'œuvre s'achève en ré majeur avec un rappel du thème d'ouverture du premier mouvement.

Comment qualifier la Symphonie en ré mineur après une ou plusieurs écoutes ? Sans doute à un niveau nettement plus flatteur que ce qu'en laisse paraître sa réputation. L'atmosphère dominante est plutôt sombre, avec son climat nostalgique et mélancolique, mais un tel choix ne préjuge en rien de la beauté et de la cohérence de l'œuvre. On notera que l'écriture pour les cuivres ne manque pas d'intérêt et bénéficie d'une détermination pas si fréquente à l'époque.

Quelles sont les influences principales décelables dans cet opus de Lange-Müller ? Bien sûr et presque inévitablement celles qui dominaient la composition européenne d'alors, à savoir les allemands Mendelssohn, Schumann, Brahms et Wagner mais aussi les scandinaves Gade et Grieg. Au-delà de ces rapprochements légitimes il nous faut reconnaître un apport personnel de la part de notre compositeur. Le chef d'orchestre Douglas Bostock, à qui l'on doit l'enregistrement de cette symphonie, a signalé des similarités intéressantes avec la musique du Tchèque Zdenek Fibich, né la même année (1850) que Lange-Müller (et mort en 1900), auteur de trois symphonies (n° 1, 1877-1883 ; n° 2, 1892-1893 ; n° 3, 1898) et aussi victime de troubles neurologiques sérieux. La même source indique encore des relations musicales avec certaines œuvres de Vitezslav Novak (1870-1949), tchèque et auteur d'une «symphonie d'automne» au début des années 1930.

De plus, il semble bien qu'un certain nombre de traits présents dans cette symphonie pourraient plus ou moins être annonciateurs de la musique de Carl Nielsen, alors âgé de 14 ans !

Si en 1879, le Norvégien Iver Holter (1850-1941) compose une Symphonie op. 3 en fa majeur qui ne laisse pas beaucoup de traces, trois ans plus tôt, la Symphonie n° 2 en si bémol majeur, op. 15 de Johan Svendsen, Norvégien lui-aussi mais qui effectuera une grande partie de sa carrière de chef à Copenhague, s'impose nettement par sa finesse, sa richesse de timbres et ses qualités intrinsèques qui la placent très haut dans le panthéon symphonique scandinave. Quant à Niels Gade, le grand musicien danois, c'est sa Symphonie n° 8, op. 47, datée de 1871 qui s'impose avec sa robustesse assurée et son héritage germanique bien digéré certes mais aussi détentrice de très belles qualités, qualités déjà présentes bien sûr dans la Symphonie n° 7, op. 45, de 1865. Du côté de la Suède voisine, Jacob Adolf Hägg (1850-1928) est sur le point de composer sa fameuse Symphonie nordique et Ludvig Norman (1831-1885), lui, montre toutes ses qualités romantiques dans sa Symphonie n° 2 en mi bémol majeur, op. 40, datée de la même année 1871.

Si le Danois Asger Hamerik (1843-1923) affiche une grande fluidité et un langage propre dans la première de son cycle symphonique (Symphonie n° 1 en fa majeur, op. 29, dite Symphonie poétique) de 1880, très peu de temps après (en 1882) son compatriote Victor Bendix (1851-1926) adopte un langage franchement post-romantique dès sa Symphonie n° 1, op. 16 tout comme d'ailleurs le Norvégien Christian Sinding (1856-1941) avec sa propre Symphonie n° 1 en ré mineur, op. 32.

 

Il était une fois (Der var engang /One Upon A Time), op. 25, pour soprano, ténor, baryton, chœur et orchestre.

Lange-Müller compose cette musique de scène pour le conte de fées dramatique de 1885 de Holger Drachmann (1846-1908) de 1885.

Lors de la création au Théâtre royal de Copenhague, le 23 janvier 1887, le jeune Carl Nielsen se trouvait, comme remplaçant, dans les rangs des seconds violons de l'orchestre. Il avait alors 22 ans. Il se souviendra à l'occasion des 75 ans du compositeur : «Les premières répétitions étaient déjà remplies d'excitation car nous sentions que quelque chose d'important se passait… Les instruments étaient souvent utilisés de manière peu conventionnelle, parfois même gênante si l'on considère chaque instrument en particulier… A partir de ce moment, Lange-Müller acquit, à mes yeux, son propre halo spécialement rougeoyant qui durera toute ma vie». [Knud Ketting, texte de présentation pour le label BIS-CD-1214].

Le spectacle (musique et mise en scène) rencontra un franc succès public. Trente cinq représentations furent données au cours de la première saison. D'autres suivirent les années suivantes. Après la cinquantième, Lange-Müller toucha une petite compensation financière supplémentaire tant les bénéfices enregistrés par Drachmann étaient plus élevés (ses émoluments se montaient à six fois plus que ceux du musicien !).

De grandes pointures du Théâtre royal investirent leur talent pour servir le projet. Le célèbre acteur Emil Poulsen joua le rôle du Prince, l'actrice Betty Hennings la Princesse, le chanteur d'opéra Niels Juel Simonsen incarna le Chasseur du Prince. Ce même Simonsen chantera plus tard Saül de l'opéra Saül et David de Carl Nielsen. Le Chanteur du Prince revint à la composition du ténor de la compagnie copenhaguoise Peter Jerndorff. Ultérieurement de grands wagnériens comme Peter Cornelius et Lauritz Melchior interprétèrent les personnages du Chasseur et du Chanteur.

Lors du 75e anniversaire de Lange-Müller on donna au Théâtre royal la 315e interprétation de Il était une fois. Depuis assez longtemps déjà Il était une fois avait été jouée souventefois dans les provinces danoises mais aussi dans les théâtres allemands et autrichiens.

Notons que le grand compositeur autrichien, beau-frère d'Arnold Schœnberg (1874-1951), Alexander von Zemlinsky (1871-1942) écrivit aussi un opéra sur ce thème (Es war einmal, 1897-99) qu'il présenta au public viennois le 22 janvier 1900, sur les bases d'une traduction allemande du texte de Drachmann.

Le devenir de Il était une fois dépassa largement ce que la postérité a rapporté à notre connaissance. Carl Nielsen devenu ultérieurement chef d'orchestre en assura à son tour la direction au Théâtre royal à 22 reprises entre 1908 et 1912. La première fois se place le 15 novembre 1908 sans aucune répétition ; mais, plusieurs fois tout au long de la saison 1911-1912, il défendit la partition célèbre (avec d'anciens décors et costumes). Il n'y reviendra pas ensuite.

Il était un fois est très probablement le seul spectacle à avoir fortement concurrencé la très populaire Colline des Elfes (Elverhøj), opus 100, d'après J. L. Heiberg de Friedrich Kuhlau (1786-1832), musique de scène créée à Copenhague le 6 novembre 1828.

La mégère apprivoiséede Shakespeare et de Le gardeur de porcs (Svinedrengen). Elle eut quelques difficultés à se faire accepter par le Théâtre royal de la capitale danoise.

Thème : le Prince du Danemark tombe amoureux d'une image de la Princesse du pays de conte de fées Illyria. Il s'y rend. Lui propose le mariage. Il est brutalement rejeté. Elle préfèrerait épouser un mendiant. Le Prince se déguise en gitan. Il vend à la Princesse un jouet en échange d'un baiser…

Drachmann, de la ville autrichienne de Tarvis où il résidait pendant l'écriture de la pièce en juin 1884, écrivit au musicien alors à Bolzano : «A présent vous devez en écrire la musique qui doit être juste assez fraîche pour elle….». Son enthousiasme emporta l'adhésion du musicien qui se mit rapidement au travail. La musique fut apportée au Théâtre royal de Copenhague au début de l'année 1885. Le conseiller dramatique du Théâtre Erik Bøgh la rejeta. Il trouva son style inapproprié au conte. Plusieurs versions s'ensuivirent avant l'acceptation définitive et le succès durable qu'elle engendra enfin. Inscrite au répertoire régulier du Théâtre elle dépasse les 450 représentations !

Sélections des numéros de l'œuvre : n ° 1. Prélude (Forspil/Prelude), 3' ; n° 2. Musique de table et l'arrivée du prince (Taffelmusik og prinsens ankomst /Table Music and the Arrival of the Prince), 2' ; n° 3. Musique bohémienne (Zigeunermusik/Gypsy Music), 2' ; n° 4. Musique bohémienne (Zigeunermusik/Gyspsy Music/Sigøjnerviser), 5' ; n° 5. Musique de nuit (Aftenmusik/Evening Music), 3' ; n° 6. Sérénade, pour ténor solo et chœur, 5' ; Musique du chaudron (Kedelmusik/Kettle Music), 0'40, très appréciée, elle contient une citation très probablement involontaire de Saint-Saëns ; n° 7. Aria Pastorale, pour soprano solo et chœur, 4' ; n° 8. Musique de chasse (Jaegermusik/Hunting Music), 2' ; n° 9. Chant de chasse (Jaegervise/Hunting Song), 3' ; n° 10. Musique du marché (Markedsmusik/Market Music), 4' ; n° 11. Menuet (Minuet), 3' ; n° 12. Valse (Vals/Waltz), 2'30 ; n° 13. Danse bohémienne (Sigøjnerdans/Gypsy Dance), 2' ; n° 14. Chant du violoneux (Spillemandens vise/The Fiddler's Song), 2'30 ; n° 15 ; n° 16. Chant du soldat (Krigsmandens vise/The Soldier's Song), pour baryton solo, 2' ; n° 17. La Garde de la ville (Borgervagten/The Town Guard), 0'40 ; n° 18. Musique du crépuscule (Skumringsmusik/Daemringsmusik/Twilight Music), 4'30 ; n° 19 ; n° 20 Musique de cuisine (Kokenmusik/Kitchen Music), 2' ; n° 21. Chanson dansante (Dansevise/Dancing Song), 2'30 ; n° 22. Fanfare, 0'30 ; n° 23. Musique de mariage (Bryllupsmusik/Wedding Music), 3' ; n° 24. Chanson du milieu de l'été (Midsommervise (/Midsummer Eve Song), pour ténor solo et chœur, 3'30. Cette Chanson du solstice appartient à la scène finale mais, détachée de son contexte, est devenue partie intégrante de la culture danoise. Le très célèbre ténor danois Aksel Schiøtz (1906-1975) la popularisa bien que initialement la chanson soit destinée à un baryton (le Chasseur dans la pièce). Schiøtz l'enregistra à deux reprises, en 1938 et 1941, avec la Sérénade, contribuant à sa renommée de part son message patriotique lancé notamment pendant l'occupation allemande de 1940-1945. Midsommervise devint un véritable hymne national des festivals d'été au Danemark.

On redonna la pièce dans une nouvelle production à la fin des années 1980. Elle recueille l'adhésion franche du public.

 

Symphonie n° 2 en ré mineur, op. 33, composée en 1889, révisée en 1915. Quatre mouvements : 1. Andante sostenuto – Allegro energico, 2. Andantino, 3. Allegro non troppo, 4. Allegro festivo, ma non troppo presto. Durée : 28'.

La création de ce second opus symphonique se déroule au Concert Philharmonique le 27 avril 1889, sept ans après la Première Symphonie. La critique la présenta comme «du gris sur du gris». La révision qu'en opéra le compositeur en 1915 n'intéresse que des détails et n'en modifie en rien la physionomie générale. Des points d'instrumentations, des améliorations ponctuelles seulement qui n'entraînèrent pas la mise en place d'une nouvelle partition imprimée, seules des modifications manuscrites sur celle existant interviennent. On sait qu'au tournant du nouveau siècle Lange-Müller présenta sa partition au célèbre chef d'orchestre et compositeur norvégien en poste au Théâtre royal de Copenhague Johan Svendsen (1840-1911) et lui demanda son avis quant à l'instrumentation. La version révisée sera créée à la Société Musicale le 13 novembre 1916. Elle ne sera plus jamais jouée ensuite. L'enregistrement réalisé par Classico (cf discographie infra) constitue donc la troisième interprétation de la Seconde Symphonie de Lange-Müller et donc la première depuis 1916.

Le premier mouvement en ré mineur commence par un Andante sostenuto qui évoluera vers la mise en place d'un Allegro energico. Le thème principal est insuffisamment énergique et balancé. Un thème secondaire nommé risoluto est dispensateur d'une certaine intensité d'énergie qu'il accumule sans éveiller un grand intérêt cependant.

Le chef d'orchestre Douglas Bostock repère quand même certains traits qui anticipent pense-t-il la Première Symphonie en sol mineur de Carl Nielsen. En réalité, l'écoute s'avère très décevante, thèmes et développements manquent de fermeté et d'assurance ; et, esthétiquement l'ensemble du mouvement pêche d'un déficit créateur manifeste. La comparaison avec le Moderato initial de la Première symphonie de notre compositeur prouve le manque d'inspiration parcourant toute l'œuvre. L'Andantino suivant, en do majeur, affiche un caractère tempéré et léger au plan de la mélodie. Il échoue toutefois à nous plonger dans quelque atmosphère intéressante. Il ne nous émeut jamais. Le troisième mouvement, en mi mineur, se présente tel un véritable scherzo mais ne repose pas sur une base créatrice dynamique. Le dernier mouvement porte le qualificatif festivo qui en réalité ne lui correspond pas particulièrement. Il est en ré majeur. De nature quelque peu orientalisante, Bostock lui attribue des vertus annonciatrices de la Troisième Symphonie Espansiva (1910-11) ou d'Aladdin d'après Œhlenschlager (1918-19) du même Carl Nielsen. Cela reste à prouver en l'espèce.

Globalement cette Deuxième Symphonie est de caractère peu concentré et de durée moindre que la précédente. Elle répond à une logique de construction bien définie mais se présente comme une œuvre de qualité insuffisante, pas assez brillante, voire à plusieurs endroits loin d'être assez personnelle.

On a remarqué par ailleurs les traits propres de l'écriture mélodique pour les trombones et pour les cuivres plus généralement. Elle est de nature réellement post-romantique.

Alors pour quelles raisons cette symphonie n'a-t-elle pas connu le succès ni même un semblant de reconnaissance ? Peut-être parce que la réputation tenace de mauvais orchestrateur qui précédait Lange-Müller préjugea durement de son avenir. Quant à la version révisée, non totalement dénuée de qualités, on l'a souligné, elle apparaît à une époque où la suprématie de Carl Nielsen est éclatante. Epoque de recul franc de l'esthétique romantique et même post-romantique de la musique danoise difficilement compatible avec les plus originales réalisations initiées par ce Nielsen presque omniprésent. Mais plus que tout autre argument cette Symphonie n° 2 en ré mineur manque de profondeur et de réussite créatrice.

Aujourd'hui, l'accueil des répertoires oubliés ou considérés comme secondaires autorise des tas de redécouvertes de catalogues négligés mais souvent d'excellente qualité. La Symphonie n° 2 méritait d'être réveillée… et de retomber dans l'oubli à l'instar de la destinée calamiteuse de la Symphonie n° 2 en mi mineur (1848) de Johan Peter Emilius Hartmann comparée à la réussite de sa propre Symphonie n° 1 en sol mineur de 1836.

 

Trio pour piano en fa majeur, op. 53, 1898. 30'.

3 mouvements : 1. Moderato con moto, 14'30 ; 2. Allegretto piacevole, 6' ; 3. Allegro con brio, ma non troppo presto. Durée : 9'.

Une des meilleures pièces instrumentales du compositeur. On reconnaît son attention et sa connaissance de la musique française (on pense souvent à César Franck) et de la musique germanique contemporaine. Le Trio est une partition bien charpentée. Son discours construit nous montre un Lange-Müller précis, homogène, maître du phrasé et capable de discipliner la forme. On peut regretter une certaine rigidité du déroulement musical et un positionnement plutôt inconfortable entre le romantisme coulant de Gade et le post-romantisme défendu par la génération suivante. Et que dire de la musique de Carl Nielsen !

Son unique et grande partition de musique de chambre développe un lyrisme luxuriant, des harmonies riches, une grande densité sonore et une écriture personnelle pour les cordes. Cette pièce gagne une place de choix dans le répertoire danois de musique de chambre.

 

Chants de bord de la mer (Sange ved Havet /Songs by the Sea), pour baryton et orchestre, op. 54. 7'.

Le titre général provient du recueil du même titre publié en 1877 par Holger Drachmann.

L'opus 54 comprend :

N° 1. Bientôt ce ne sera plus le temps des claires nuits (Snart er de lyse Naetters Tid forbi /Soon the time of the white nights is past), Allegretto – Poco più moto, pour baryton solo, 2'30. Provient du début du poème de Drachmann «Improvisation ombord» (Improvisation à bord) de 1875.

N° 2. En glissant sur les eaux devant ta demeure (Og da jeg sejled dit Hus forbi/ And As I Sailed Past Your House ), Moderato con moto, 2'40.

Le seul des trois chants à provenir du recueil de poèmes Sanger ved havet de Drachmann.

N° 3. Une nuit en mer j'ai navigué (Jeg sejled en Nat over Havet/One Night I sailed over the sea), Moderato sostenuto, 3'. Extrait du poème Sommerdrömme (Rêves d'été) du recueil Sangenes Bog (Le Livre de chants/The Book of Songs) édité en 1889.

Une des meilleures réalisations chorales de la fin de la période romantique au Danemark.

 

Sept Pièces de la Forêt (Syv skovstykker/Seven Forest Pieces), pour piano, op. 56. 1898- 1900.

Se compose des numéros suivants : n° 1, en ré mineur, Allegretto simplice (sic), 4', n° 2, en si majeur, Andantino espressivo, 6', n° 3, en sol majeur, Allegretto scherzando, 3', n° 4, en si majeur, Moderato con moto, 4', n° 5, en sol majeur, Con brio, ma non troppo presto, 2'30, n° 6, en si bémol majeur, Allegretto sostenuto, 3', n° 7, en la mineur, Allegro capriccioso, 3'30.

Cette musique est inspirée par un poème de Henrik Hertz sans pour autant être de la musique à programme. Le compositeur y injecte des impressions, des sentiments, des sensations secondaires aux modifications de la nature dans le texte en question mais aussi selon sa propre expérience de la nature côtoyée dans la région de la Seeland du Nord non loin de sa propriété de Sophienberg. Les indications de tempo donne à chaque fois une tendance du caractère de chacune des pièces qui ne possèdent pas de titre propre. On y trouve aussi une certaine influence venue de Schumann (Scènes de la forêt, op. 82) mais sans plus, on retrouve plus de traces de la part de Grieg (Pièces lyriques).

 

Renaissance, op. 59, 1901, 20'.

Nouvelle et dernière collaboration avec Drachmann à travers un texte traitant du peintre le Tintoret (de son vrai nom Jacopo Robusti) – dans lequel se reconnaît l'écrivain – et de son existence à Venise à l'époque de la Renaissance (seconde moitié des années 1500). Pour le héros la devise suivante vaut : «Ma vie est mon œuvre. Mon œuvre est mon art et je peux travailler seulement lorsque j'aime». Tintoret assassinera son rival, le jeune patricien Andrea Balbi, qui a séduit celle qui était sa maîtresse et son modèle à la fois. La pièce fut imprimée en 1894. Ensuite Lange-Müller ne reviendra plus jamais à la scène.

La création enregistra un franc succès, le 9 novembre 1901 au Théâtre Dagmar (Dagmarteatret), second grand théâtre de Copenhague à l'époque.

Parmi les acteurs principaux se trouvaient les futurs célèbres frères Adam et Johannes Poulsen qui effectuaient leurs débuts en cette occasion.

Le journal Dagbladet écrivit : «C'est du pur Lange-Müller et c'est très beau. Déjà le premier des Préludes captive le cœur avec ses sentiments chaleureux et les chansons avec leur coloration propre. Ils sont à la fois le caractère et l'atmosphère de cette musique.»

L'œuvre fut ensuite inscrite au Théâtre royal de la ville. On l'y donna une dizaine de fois au cours de la saison 1920-1921.

La partition se compose des numéros suivants :

Renaissance est une preuve supplémentaire de la réussite de Lange-Müller dans ce registre. Les parties pour ténor et orchestre sont brillantes. Elles inspireront plus tard Carl Nielsen.

 

Concerto pour violon et orchestre en do majeur, op. 69. 1902. 26'.

Trois mouvements : 1. Moderato, 2. Allegretto sostenuto, 3. Allegro giocoso.

Création : avec en soliste Axel Gade (1860-1921, fils de Niels Gade et élève du grand violoniste allemand Joseph Joachim), premier violon à l'Orchestre du Théâtre royal. Il a laissé deux concertos pour violon : n° 1, en ré mineur, 1880 et n° 2, en fa majeur, 1899.

On a considéré cette partition de Lange-Müller comme une fantaisie pour violon.

Elle repose sur des atmosphères, sur un lyrisme et une beauté caractéristiques de son style. Il s'agit d'un concerto non conventionnel de style romantique, inspiré au plan mélodique, plein de charme. La cadence soliste du premier mouvement due à Axel Gade ne semble pas en adéquation avec l'esprit de l'œuvre. Il n'y a pas de mouvement lent authentique, pas de brillance technique pour le soliste. Ce concerto mérite toute notre attention car il nous permet de découvrir un aspect majeur de Lange-Müller. Ni classico-romantique ni franchement post-romantique, cet op. 69 caractérise justement l'art intermédiaire de ce maître négligé.

Le concerto soutient dignement la comparaison avec les œuvres danoises contemporaines suivantes : August Enna (1859-1939) avec son Concerto en ré majeur, 1897, Hakon Børresen (1876-1954) avec le Concerto en sol majeur de 1904 et Gustav Helsted (1857-1924) et son Concerto en si mineur (1909).

Le compositeur sollicita des conseils techniques à Axel Gade, d'autres au niveau orchestral au compositeur August Enna, post-romantique danois assez nettement influencé par Richard Wagner.

Le second mouvement est mélodieux avec son atmosphère douce et apaisée. Le Finale, plus extraverti, offre pour l'un de ses thèmes une influence revendiquée de l'air Køkkenmusikken (Musique de cuisine/The Kitchen Music) de Il était une fois.

 

Survol du reste du catalogue Lange-Müller

Les opéras

Tout au long de sa carrière il en espéra de grands succès mais fut régulièrement déçu de l'accueil qui leur fut réservé par le public et la critique officielle. Tous furent créés à Copenhague.

Neuf représentations seulement furent données. Plusieurs années après, il retravailla l'œuvre, notamment le second acte, qui devint un opéra indépendant doté d'un autre titre Der gaar Dans i Borgegaard… mais tout cela n'apporta pas non plus le succès tant escompté. Pour autant le Danois n'abandonna pas ses prétentions puisqu'il composa trois autres opéras.

Il en existe une version vocale abrégée (1879). Rappelons que la création eut lieu la même année que Le roi et le maréchal (Drot og Marsk) de Peter Heise (1830-1879), opéra qui jouit d'un durable succès contrairement à Tove.

Le thème est un classique danois à savoir l'histoire de l'amour du roi Valdemar pour Tovelille.

Il s'agirait d'un opéra joyeux, lui-même inspiré par une des propres chansons de Noël de Faber très appréciée Højt fra Træets frønne Top. L'opéra rencontra un certain succès en dépit d'une confrontation peu naturelle avec le comique chez notre compositeur plutôt sérieux. Joué néanmoins à Stockholm et à Hambourg.

Partition vocale de 1897. Création : Théâtre royal, le 29 avril 1900. Avec la participation d'un baryton très apprécié du public danois de l'époque, le Suédois John Forsell (1868-1941). Il joue le principal rôle masculin Søkongen (Le Roi de la Mer) dans les quatre dernières représentations. Pas de succès critique qui le juge tout à fait démodé. Accueil froid lors de la première. Conséquence : 12 représentations seulement. Forsell participera à la répétition du rôle à Stockholm en 1904 où l'on donna l'opéra une douzaine de fois.

Opéra influencé en partie par Richard Wagner et J. P. E. Hartmann.

L'échec de Vikingeblod déprima Lange-Müller et le conduisit probablement à abandonner toute velléité de composer pendant pratiquement un quart de siècle. Cette déconvenue associée aux permanents maux de tête provoqua son retirement quasi-complet de la vie musicale de Copenhague. Néanmoins les spécialistes considèrent cet opus comme le meilleur des quatre tentatives opératiques.

On en retient deux sections saillantes : l'Ouverture. Allegro risoluto. 5'30 et Le Chant de la mer (Søkongens sang til Havet/The Song of the Sea), Moderato, 2'30, pour baryton soliste

La gloire refusa obstinément de se manifester par le biais de l'opéra qui tous sombrèrent rapidement dans l'oubli bien qu'un certain nombre de chansons extraites connurent et connaissent encore des interprétations vivantes appréciées des Danois.

Musique de scène

Cette partition gagna une renommée durable capable de concurrencer sérieusement le célèbre Elverhøj de Kuhlau. Partition dans laquelle le compositeur propose des pages dignes de la période pré-classique continentale et d'autres proches de scènes de la musique populaire danoise sans qu'il s'agisse d'une authentique musique nordique. Cf. supra

, musique de scène, op. 48, d'après E. Christiansen, création : Copenhague, Théâtre Dagmar, 1898, chansons (1893-98). Avec une chanson brillante et légère : Firenze et une autre chanson, d'adieu et triste : Yderst i slaebet det lette (At the Edge of the Light Train).

 

Musique chorale

 

Musique pour orchestre

(Tyrol idylls).

 

Musique de chambre

Interprétées le 13 février 1895, par deux suédois de grande renommée, Tor Aulin et Wilhelm Stenhammar (pianiste, chef d'orchestre et compositeur, 1871-1927).

Musique pour piano (à deux mains)

Riche variété de tempos visités avec une musique assez dense aux tempos variés : moderato con moto/espressivo e sostenuto, tranquillo/dolce, animandosi, con brio, ma non troppe presto, poco più moderato et grazioso… Là encore, pas de programme précis, seulement des impressions générales traduites en musique. De forme sonate. On a pu y déceler une technique pianistique redevable de Gabriel Fauré. L'on sait combien le compositeur danois s'intéressait à la musique française de son temps.

 

Chansons pour voix soliste et piano

Cette section intéressera peut-être quelques grands curieux. Mais afin d'être complet…

Ce premier opus impose Lange-Müller comme un digne successeur de Peter Heise. La partie était loin d'être gagnée si l'on se souvient que J. P. E. Hartmann en avait réalisé une mise en musique une vingtaine d'années auparavant. Sa réalisation soutient aisément la comparaison grâce à son style déjà individuel.

Comprend : 1. Sulamiths sang i vinhaven/Sulamite's Song In The Vineyard/La chanson de Sulamith dans le vignoble, 2. Sulamiths sang i skovduelunden/Sulamite's Song I The Dove Grove/La chanson de Sulamith, Le bosquet de la colombe, 3. Salomons sang med brevduen/Salomon's Song With The Carrier Pigeon/La chanson de Salomon avec le pigeon voyageur, 4. Sulamiths sang I dronningehaven/Sulamite's Song In The Queen's Garden/Dans le jardin de la reine, 5. Sulamiths sang på brudekarmen/Sulamite's Song In The Bridal Coach/Le carosse nuptial.

 

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Conseils discographiques

 

 

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Et voilà ce qui reste de toute une vie d'élaboration artistique, de croyance authentique en la valeur de ce que composait dans sa solitude créatrice Lange-Müller. La foi en l'immortalité de ses œuvres l'incitait à poursuivre sa tâche difficile souvent contrariée par l'adversité d'une santé chancelante. Le salaire de l'effort et le chant intérieur – fut-il difficile ou résistant à s'exprimer – lui appartiennent en secret à tout jamais. Puissions-nous en partager, même modestement, même partiellement, l'esprit…

«La musique est l'art de la sincérité» confia-t-il une fois. A méditer !

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