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Double jeu très virtuose de Freddy Kempf

Le jeune et brillant pianiste , de passeport et d'éducation britanniques, mais d'ascendance germano-japonaise, s'attaque ici à trois œuvres particulièrement spectaculaires nécessitant une virtuosité et une maitrise instrumentale du plus haut niveau. Ce qui, comme chacun sait, peut être une arme à double tranchant quand l'inspiration musicale n'est pas au même niveau. Et à l'écoute de ce disque, s'il nous semble que ces œuvres ont indiscutablement attisé l'inspiration du pianiste, celle-ci l'a emmené ici où là dans des contrées qui ne nous ont pas totalement convaincu.

Il faut dire que dès les premières mesures de la première écoute des Tableaux d'une exposition, c'est-à-dire la première apparition de Promenade, nous nous sommes un peu demandés où nous allions. Car cette première citation, écrite totalement neutre, sans la moindre indication d'effet, comme le serait la citation initiale du thème dans une œuvre à variations, est jouée avec précipitation (est-ce bien l'Allegro giusto indiqué !) avec moult effets d'accélération, de suspension, sempre rubato, ce qui, en général est exactement ce qu'il ne faut pas faire. Et après écoute de cette version, nous persistons à penser qu'il ne fallait vraiment pas le faire. Rester droit, simple et sobre aurait été plus approprié. Au moins cette introduction a donné le la d'une version qui bien (trop ?) souvent n'hésitera pas devant l'effet et la précipitation gratuitement virtuose, sacrifiant phrasés et indications explicitement écrites, alors que les passages où Kempf restera sobre seront vraiment excellents. Par exemple, on comptera côté réussite, Il vecchio castello au rythme de base impeccable et immuable, un Bydlo impressionnant de rigueur et de puissance, même si joué tellement ff dès le départ que l'arrivée du con tutta forza est à peine perceptible, des Catacombes lentes et justement dosées, ou encore le rythme parfaitement réalisé de Baba-Yaga. On sera moins emballé par un Gnomus maniéré, des Tuilleries trop rapides où staccato et legato sont parfois indiscernables, le simple et court Tranquillo suivant Bydlo où le pianiste en fait beaucoup trop (adieu sobriété), jusqu'à La grande Porte de Kiev aux quelques effets, à notre sens, superflus. Dommage qu'il y ait ce « double jeu » car lorsqu'il respecte la base rythmique et joue avec grandeur et sobriété, Kempf réussit remarquablement son coup, alors que lorsqu'il oublie cette base et se laisse aller à l'effet maniéré il est moins convainquant.

Curieusement les deux pièces suivantes semblent poser moins de problèmes, car justement jouées avec une sobriété retrouvée et maintenue d'un bout à l'autre. Ainsi Gaspard de la nuit sonne et avance très bien avec ses trois mouvements (Ondine, Le Gibet, Scarbo) bien caractérisés, clairement phrasés, usant d'une dynamique plus subtile que dans les Tableaux. Cette pièce très poétique, aussi évocatrice que descriptive, impressionne sous les doigts véloces de Kempf, qui sait aussi tenir en haleine dans les nombreux passages modérés, dont Le Gibet joué cette fois-ci, et heureusement, quasiment sans rubato. Il peut exister des versions plus sombres et inquiétantes, mais celle-ci se défend fort bien. Avec Scarbo Ravel relance la compétition plus ou moins virtuelle du plus difficile morceau de bravoure pianistique, détenu jusqu'alors, si on en croit la notice d'accompagnement, par Ismaley qui complète justement ce disque. Dans les deux cas on sent le pianiste parfaitement à son affaire avec ce déferlement de notes où un doigt supplémentaire à chaque main ne serait pas de trop, très soucieux de lisibilité et d'équilibre, semblant jouir plus intensément des passages virtuoses que des moments plus intimistes néanmoins réussis.

Un disque à double face, avec des Tableaux discutables où traits de génie alternent avec agacements, qui ne satisferont pleinement que l'auditeur épris de pure virtuosité pianistique (d'autant que le rendu CD et surtout SACD restitue pleinement la résonnance de la table d'harmonie du Grand Steinway, avec une prise de son très proche), alors que Gaspard et Ismaley comptent parmi les très bonnes versions de ces œuvres.

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