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Nelson Freire : de l’Allemagne romantique au Brésil en passant par Paris

est un pianiste éclectique comme nous le démontre son programme où, hormis la première partie Schumann-Brahms, on ne cherchera pas le point commun reliant entre elles les dix pièces jouées ce soir, en dehors du simple plaisir de les partager avec le public, dans une promenade musicale allant de l'Allemagne romantique au Brésil en passant par Chopin et Debussy.

Ainsi donc les deux premières œuvres programmées furent les opus 2 de Schumann (Papillons) et de Brahms (sa Sonate n°2). Bien balisé avec ses treize numéros relativement courts, Papillons ne demande pas une grande virtuosité pour être réussi, et peut être envisagé avec la simplicité d'une œuvre de jeunesse, ou avec la mémoire rétrospective de ce qui viendra ensuite. Choisissant la première option, joua cette œuvre avec une relative candeur, comme pour la première fois, presque sans intention sous-jacente, avec simplicité. Et même si on peut trouver de ce fait l'inspiration un peu courte, ça se défend très bien ainsi, et la réalisation était irréprochable. La sonate de Brahms qui suivit, déjà plus originale pour un opus 2 que celui de Schumann, quoique encore un peu verte comparée à la Sonate n°3, demande une fibre brahmsienne solidement établie pour être jouée avec naturel et évidence. Ce qui justement ne nous a pas semblé si évident ce soir, l'interprétation du pianiste manquant un peu de nuance, trop souvent jouée dans un uniforme fortissimo (il est vrai que Brahms demande très souvent le ff), avec une main gauche trop discrète quand la partition ne lui donnait pas explicitement le leadership. Cela a donné une version quelque peu littérale, assez agréable à entendre avec un très beau piano (à peine perturbé par les infra graves montants des tréfonds du sou-sol parisien), où ligne et sens de l'œuvre ne sautaient pas toujours aux oreilles, ce qui est une, sinon la difficulté de cette œuvre, pas totalement résolue par ce soir.

Toutefois on retrouva le pianiste immédiatement plus à l'aise dans Chopin où son touché et la qualité de ses phrasés étaient plus naturels que dans Brahms. On sentait chez Freire une sorte d'équilibre qui ne semblait privilégier ni la profondeur métaphysique à la Arrau, ni la hauteur de vue beethovénienne d'un Pollini, ni la virtuosité d'un Horowitz, ni la séduction d'un Rubinstein, pour ne citer que quelques archétypes, mais qui essayait simplement de nous faire jouir de cette musique. Ainsi ceux qui aiment les positions plus tranchées resteront sans doute fidèles aux «archétypes», et ceux qui se laissent aller au plaisir de l'instant seront certainement séduits par une telle prestation. Dont on retrouva les principales qualités dans les trois préludes de Debussy qui suivirent, à la parfaite lisibilité, sensibles plus que grandioses, équilibrés plus qu'engagés, et qui, à notre avis, vont mieux au concert qu'au disque où l'écoute répétée peut en atteindre les limites.

Dire que Nelson Freire sembla encore plus à l'aise dans la musique de Villa Lobos pourrait sembler une facilité de discours, mais telle était bien la réalité du soir, tant il nous a semblé jouer avec une aisance et un plaisir évident, peut être libéré du poids de la mémoire de l'auditeur bien moins encombrée ici que pour les autres œuvres de la soirée. Toujours est-il que cette musique brésilienne a permis, avec les bis dont Freire ne fut pas avare, de terminer la soirée en beauté.

Crédit photographique : © Arcadio Minczuk

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