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Un Bach au fond du son avec Edda Stern

Le sujet est inépuisable ! Depuis quelques mois, nous assistons à une déferlante de disques consacrés à au piano, chacun apportant un éclairage original. Pourquoi s'en étonner ? L'écriture de Bach et les possibilités quasi-illimitées du piano moderne ont souvent abouti à un mariage heureux, magnifié par une pléiade d'artistes, heureux d'exprimer au travers de ce royal support les penchants de leurs âmes. Aborder Bach au piano, instrument qu'il n'a pas connu, en tout cas sous sa forme actuelle, pose l'éternel problème de l'approche : soit une vision recherchant les effets du baroque, mais pour un instrument qui ne l'est pas, un peu la manière de Glenn Gould, soit jouer à fond la carte du son romantique, en utilisant toutes les possibilités de nuances, dynamiques et effets de pédale que permet le piano moderne. A la suite de tous les grands pianistes du XIXe siècle, qui souvent firent quelques célèbres transcriptions de pièces d'orgue, ou de violon, et qui s'emparèrent de ce son plein et puissant, semble emboîter le pas. On pense à S. Richter ou à E. Fischer, dont elle reconnaît s'être inspirée, au service ici d'un bouquet choisi de préludes et fugues du clavier, ce «pain quotidien» déjà magnifié par Schumann, et quelques chorals choisis.

Le programme s'articule en quatre groupes de trois préludes et fugues introduits par des chorals transcrits à partir de l'orgue : les célèbres «Nun komm», «Ich ruf'zu dir», et «Wachet auf» qui demeurent de pures merveilles. Transcrits par Feruccio Busoni, nous les entendons ici dans toute leur délicatesse, en un son chaud et rappelant à plusieurs reprises l'orgue par les basses et les résonances. Le choral dit «du veilleur» BWV 645, issu de la cantate BWV 140, déjà transcrit à l'orgue par Bach lui-même dans ses six chorals Schübler, évoque la parabole des vierges folles et des vierges sages, le quatrième verset de la cantate évoquant justement les vierges sages et leurs lampes à huile. Bach écrit là une douce fileuse avec le chant du choral au ténor, atmosphère de sagesse, que nous offre de manière sublime, éloignée de certaines versions téméraires, à coup parfois de trompettes en chamade ! Un troisième choral s'insère judicieusement dans ce programme : «Schmücke dich», mais écrit par Brahms pour l'orgue. La passerelle est lancée vers l'avenir, grâce à ce génial continuateur.

Du coup, les trios de préludes et fugues s'en trouvent éclairés d'autant par de si révélatrices introductions, véritables préludes de chorals comme aurait dit Albert Schweitzer, situés ici dans leur vrai rôle. Le discours baroque, cette rhétorique tant revendiquée pour cette musique, nous le révèle au travers de son chant intérieur, dont l'inspiration nous emmène au plus profond de ces œuvres. On repense alors à tous ceux et celles qui ont construit Bach au piano, chacun à sa manière amenant sa pierre. Le magique et le mystérieux avec Bach, c'est que l'on a l'impression d'entendre à chaque interprétation, une musique pour la première fois. Edna Stern, en état de grâce, nous le démontre dans ce disque. Et au diable les puristes ! Donnons nous la possibilité d'aimer toutes sortes de versions, pour une plus grande connaissance de Bach, il n'a pas fini encore de nous étonner et de nous ravir.

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