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Bach : Le chant du choral

Ce disque est un pur bonheur. Il est né d'une idée géniale qui consiste à remplacer le jeu de solo de l'orgue par la voix. Il suffisait d'y penser, le résultat est pour nous une révélation. Mais, au fait… Bach lui même ne nous avait-il pas déjà donné des pistes ? Il aimait çà du reste, souvenons nous de ces fameux canons, véritables énigmes musicales, où il nous laisse trouver la solution, la porte de sortie : «cherchez et vous trouverez». Son célèbre tableau, peint par Haussmann à Leipzig, en est la meilleure preuve. Trouver la solution du canon, présenté sur une petite partition, juste en retournant le tableau. Le tour est joué, car c'est Bach face à nous qui lit la musique. C'était dans l'air du temps, les exemples abondent.

Ici, ce que nous entendons est magique : la mélodie du choral, avec ses paroles, vient se superposer au riche tissu contrapuntique des chorals pour orgue, tirés des grands cycles. Bach fit à l'époque l'inverse en transcrivant quelques chorals de cantates pour l'orgue (six chorals Schübler). Il est amusant de trouver la démarche inverse dans ce disque avec deux de ces chorals Schübler. A l'écoute, ce que nous entendons respire l'évidence, et montre une nouvelle fois, qu'avec Bach, il y a toujours quelque chose à découvrir, qui nous aide à mieux le comprendre et à mieux l'apprécier. Il faut dire que la réalisation musicale est ici de tout premier plan : l'utilisation d'un orgue neuf de l'atelier Thomas reconstruit récemment dans une paroisse Strasbourgeoise d'après les modèles de Thuringe du XVIIIe, contemporains de Bach et un chœur de seize jeunes filles, dirigé par , orfèvre en la matière. Cette maîtrise du conservatoire de Rouen possède le sens de cette musique, comme rarement il nous a été donné d'entendre. Perfection de l'émission, homogénéité, sens de la phrase, tout cela est hautement inspiré. Il y a quelque atmosphère angélique dans ce chœur, à la fois fragile et touchant. Leur voix de soprano et d'alto convient parfaitement à la tessiture de ces chorals.

Un seul exemple : la longue variation X de la partita «Sei Gegrüsset», qui se développe lentement sur un large cantus firmus, rappelle irrésistiblement, dans cette version, le verset II de la cantate BWV 4 «Christ lag in Todesbanden». Il y a là quelque chose à la fois de tragique, mais dans l'acceptation de la souffrance. Dans la cantate, on assiste à la fin du verset, à un Alléluia triste, chargé de nombreuses dissonances. A l'identique, dans la partita, le chant se dédouble soudain (alto et soprano) sur les paroles «Jésus, réconforte-moi». Comme pris par la main, et malgré les duretés de la vie imagées par de nombreux frottements harmoniques, l'homme se laisse guider et chemine en paix, auprès de son Sauveur. , lui, à ses claviers est impérial. Il touche l'orgue avec une classe et une distinction, que nous lui connaissions déjà, et qui se confirme ici plus que jamais. Le choix des jeux, l'équilibre avec le chœur, les enchaînements, les tempi, la subtilité du toucher, tout concourt à une compréhension totale de ces pages que nous croyions bien connaître. Johann Ziegler, élève de Bach rapportait de son maître en 1746, «qu'il ne faut pas jouer la mélodie simplement pour elle-même, mais en tenant compte du sens des mots».

Tout est dit ! De plus, le choix des chorals choisis dans les divers livres d'orgue, fait un tour d'horizon de cette pratique, et nous ouvre des perspectives illimitées.

On se plait à rêver à d'autres chorals ainsi traités, il en reste encore beaucoup à explorer dans ces grands cycles. Cette présentation musicale nous rapproche aussi de l'ambiance de l'office luthérien, où le chant occupe une place fondamentale. C'est sans doute à l'orgue, l'un des plus beaux disques Bach jamais réalisé, rehaussé par de pures voix, récitant la Parole. Au-delà de sa réussite musicale, ce disque démontre l'absolue vocalité de cette musique.

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