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Ivan Moravec, étrangement ailleurs…

Si le pianiste jouit d'une belle réputation auprès des mélomanes, sa discrétion médiatique n'en a manifestement pas fait une star du clavier propre à remplir de fond en comble une salle comme le Théâtre des Champs-Élysées, dont le troisième balcon resta assez clairsemé. Le programme offrait pourtant de belles choses, même s'il pouvait manquer à la fois d'originalité et de cohérence. Connaissant le style propre de ce pianiste, nous pouvions nous attendre à des exécutions non routinières, assez marquée par la personnalité de l'artiste, avec sans doute plus d'affinité pour Debussy et Chopin que pour Schumann et Beethoven. Le déroulement de la soirée a confirmé notre prévision, avec une première partie de concert, soyons francs, assez décevante, et une seconde partie plus intéressante, sans être exceptionnelle.

Les Scènes d'enfants introduisaient la soirée dans un climat clairement poétique où le jeu de tension détente était évacué. Utilisant en général un tempo plutôt lent favorisant la respiration, jouant sur le rubato (dès l'exposé du premier thème, ce qui nous semble en général une mauvaise idée, ce soir aussi), profitant de la couleur de son piano sans jamais forcer la dynamique, Moravec nous a offert une lecture finalement assez sèche, intimiste, peu romantique, flirtant ici où là avec le presque trop retenu, qui donnait la sensation d'une sous exposition de l'œuvre. Elle restait néanmoins assez cohérente, mais sans enthousiasme.

Ensuite, il nous a semblé que avait lu à la française, c'est à dire avec le «a» privatif, le sous-titre Appassionata de la Sonate n°23 de Beethoven. Car, comme dans Schumann, il a évacué toute notion d'énergie, de tension et détente, tout simplement de passion. Et si Les Scènes d'enfants s'en sortaient plus ou moins, l'Appassionata sombrait corps et âme sous un tel traitement. Qui plus est les enchainements des thèmes, les transitions, si importantes chez Beethoven, étaient réalisés sans logique apparente, sans cette force organique sous-jacente qui lie l'ensemble et donne cette formidable densité aux œuvres beethovéniennes. Bref, il manquait bien trop d'ingrédients à cette interprétation pour passer le cap.

Après la pause Moravec s'est montré immédiatement plus à l'aise avec la musique de Debussy, dont il enchaina, comme s'il s'agissait d'une seule œuvre, le prélude Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir et Children's corner. Cette musique ne joue pas sur les mêmes ressorts que Beethoven, et du coup, ne pâtissait pas des défauts qui plombèrent la sonate. On pouvait mieux profiter d'un toucher sensible, d'une belle sonorité de piano, les petites fautes digitales devenant insignifiantes, et la limitation de l'échelle dynamique moins cruciale. Le concert se termina par deux Ballades de Chopin, la n°4 d'abord, puis la plus grandiose n°1 gardée pour le final. Incontestablement le style du pianiste lui permet de se mouvoir avec plus de facilité dans ces deux œuvres que dans Beethoven, avec des phrasés plus naturels, une vue d'ensemble qui se tient mieux, mais cette fois-ci la réserve dynamique fut un peu plus pénalisante, surtout dans la grande Ballade n°1 qu'on a connue plus vivante et plus grandiose. Globalement ce concert ne restera pas mémorable, en deçà de ce que le pianiste à sans doute été capable de réaliser à ses meilleures heures.

Crédit photographique : © Anost Nosek

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