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Ivresse létale

appartient à ce triste cercle, très fermé, des artistes « météores » – fauchés dans leur jeunesse par la maladie – qui ont néanmoins laissé à la postérité quelques chefs-d'œuvre qui traversent les années et les siècles. On ne peut s'empêcher de songer à Giovanni-Battista Pergolese (1710-1736) dont le Stabat Mater reste une partition fréquemment enregistrée et jouée au concert, à Raymond Radiguet (1903-1923) dont Le Diable au Corps provoque toujours des controverses, et plus récemment à Keith Harring (1958-1990) dont le « Bébé Rayonnant » et ses déclinaisons s'imposent désormais aux cimaises des plus grands musées.

Mort à vingt-quatre ans de la typhoïde, Lekeu nous a légué une vingtaine d'œuvres, dont certaines sont devenues incontournables : l'» Adagio » pour quatuor d'orchestre (1891, créé de façon posthume en 1894), est une page bouleversante qui préfigure Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d'Arnold Schönberg, composée en… 1899. Les œuvres de ne sont jamais d'une franche gaieté, ce qui pourrait sembler surprenant pour un si jeune homme !

La Sonate pour violoncelle et piano, enregistrée ici par et Philippe Guilhon-Herbert, ne fait pas exception à la règle. Le compositeur n'avait que dix-huit ans lorsqu'il signa cette page placée sous le signe de la mort, d'un désespoir profond, d'une noirceur absolue ! La longueur inhabituelle de cette partition (plus de cinquante minutes !) surprend autant que la densité de son propos musical, idéalement restitué par les deux interprètes.

On admirera les somptueuses sonorités et le lyrisme désespéré du violoncelle d', qui font corps avec le piano de Philippe Guilhon-Herbert. Tout concourt, dans leur vision, à nous immerger dans l'univers de ce jeune homme triste que fut sans doute . Dans le troisième mouvement, « Lento assai e con molto di malinconia », le violoncelle détruit avec certitude tout espoir… et Philippe Guilhon-Herbert nous offrent une vision somptueuse et funèbre d'une page trop rarement jouée. L'occasion de saluer (en ces temps de disette discographique) le courage du label indépendant Saphir, qui s'aventure souvent (et avec succès) sur des chemins peu balisés !

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