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Les Goldberg par Kenneth Weiss, tout le contraire d’une version somnifère

Redoutable épreuve pour un claviériste que de proposer en concert ce cycle terrible des 30 variations, œuvre maîtresse du vieux Bach, composée à la demande d'un mécène insomniaque afin d'adoucir ses longues nuits de veille. Au-delà de cette anecdote que l'on répète d'un sourire amusé, le génie de éclate d'un bout à l'autre de cette œuvre monumentale. Il s'agit, avec cet enregistrement, d'une version de plus de ce cycle, mais sans doute pas une de trop. L'artiste ne nous lâche pas, nous tient en haleine sans faille d'un bout à l'autre, dominant l'ensemble par une technique sans faille, confondante pour du direct, et par une inspiration en tout point remarquable. Soutenu par un clavecin de tout premier plan, déjà remarqué dans un récent enregistrement des concertos pour clavier de Bach, il offre à la matière parfaite pour exprimer son discours, sa verve, ses états d'âme. La prise de son offre une image large, évoquant parfois un clavecin «orchestre» dont l'œuvre s'accommode parfaitement.

Une puissante énergie traverse cette version, portée sans doute par l'effervescence du concert, rappelant par moments ce que proposait le regretté Scott Ross dans les années 80, lors de récitals mémorables à Montréal, Paris, ou Saint-Guilhem-le-Désert. joue dans la cour des grands. Son jeu est d'une clarté, d'une clairvoyance étonnantes, capable de faire rebondir le discours d'une variation à l'autre, parfois enchaînées dans la foulée, à la manière de Gould. Les reprises au sein de chaque variation sont quasiment systématiques, contenant toutefois, par un tempo allant, l'ambitus du cycle en un seul CD d'une heure 15 environ. Ce disque reste l'image sonore d'un soir, où le miracle s'accomplit. On ne s'explique pas vraiment ni comment ni pourquoi : vraisemblablement un heureux concours de circonstances, entre clavecin, acoustique, public, bonne forme de l'interprète, et surtout inspiration du moment, grâce aux vieux papiers d'un Bach arrivé au sommet de son génie. L'œuvre fascine, enivre, éblouit, et reste une bible du clavier. Nous comprenons pourquoi chaque artiste souhaite laisser une trace au travers de ce texte. Cela engendre une avalanche de versions, de visions parfois si opposées, mais rarement décevantes, qui apportent chacune leur éclairage, leur approche, comme si nous entendions cette œuvre pour la première fois : là réside aussi le génie de Bach.

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