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Conversation du Ciel et de l’Enfer sur de la Comedia espagnole

Entre le Ciel et l'Enfer, il y a l'Homme, avec ses forces et ses faiblesses. Et il y a aussi l'amour, sa quête perpétuelle, qui peut tour à tour prendre la forme de son fardeau ou lui donner des ailes, être cause de sa Chute ou de son Salut. C'est l'Homme et l'amour dans leurs contradictions qui sont dépeints en musique par l'ensemble Laberintos Ingeniosos, interprétés comme l'on mettait en scène une pièce de théâtre, plus précisément la Comedia du Siècle d'Or espagnol.

Pour tenir un tel pari, il fallait trouver le duo indissociable de compositeurs, le tandem musical qu'il manquait au théâtre ; ce dernier est enfin formé : l'impétueux , au passé trouble, rencontre, le temps d'un récital, , décrit par ses contemporains comme un personnage à la «douceur naturelle et la personnalité effacée». Ainsi, l'ancien galérien condamné pour homicides, devenu prêtre par la suite, s'allie avec un musicien de la Chambre Royale du roi Charles II.

Et contre toute attente, l'association est parfaite, tant ils s'apportent l'un l'autre. Marín offre l'originalité de son œuvre, la seule connue à ce jour, avec l'incertitude des modulations, les tournures harmoniques italianisantes. Les textes choisis sont d'une grande qualité, l'un d'entre eux, Al son de los arroyuelos est écrit par Lope de Vega, maître incontesté de la Comedia, même pour ses contemporains. Les textes reprennent également les thématiques et les conventions théâtrales du XVIIe siècle : les scènes bucoliques et pastorales, les personnages mythologiques, les intrigues amoureuses du Galant et de sa Belle. Guerau, en virtuose et grand innovateur du jeu de guitare, sublime le tout. Les lignes mélodiques sont portées à un haut degré de raffinement, les dissonances les parcourent avec un grand naturel. Le duo brise alors les barrières entre le folklore, le caractère populaire de la guitare et le raffinement mélodique. En bref, c'est la quintessence du baroque espagnol : racé, fort, élégant.

Dès lors, le spectacle peut prendre vie. L'ensemble Laberintos Ingeniosos, le cœur dans la musique, mais l'esprit tourné vers le théâtre, choisit de reprendre la structure de la Comedia pour son récital : ainsi se profilent trois journées (Jornadas). Chacune d'entre elle s'ouvre sur une scène d'exposition instrumentale et nous fait pressentir, au-delà des mots, le contenu et le dénouement de l'intrigue à venir. Puis le rideau se lève, sur des paysages bucoliques. Le galant entre en scène, et la séduction opère.

Dévoilant alors la complexité des sentiments par le jeu mêlé des figures de style contrastées et des modulations musicales, le galant nous laisse penser qu'amour est plus souvent souffrance que plaisir. Et l'on constate à quel point la fin du Siècle d'or espagnol est bien pour l'art une période de pessimisme et de désenchantement. Mais quoi qu'il en soit, l'émotion et l'expressivité sont là, guidées par la voix chaleureuse et timbrée de .

Ainsi, ces tonos humanos, en véritable récital baroque, sont placés sous le signe des contradictions, mais ces contradictions demeurent intimement liées entre elles, en ce qu'elles sont indissociables de toute condition humaine. L'écoute de ce récital nous démontre également qu'il faudrait grandement penser à une autre réconciliation : celle du théâtre et de la musique. De quoi sortir du cloisonnement des genres et des arts. Pour rejoindre les mots du directeur Xavier Díaz-Latorre «Espérons que la beauté des tonos humanos incitera metteurs en scène et producteurs de théâtre à les inclure dans leurs futures adaptations du théâtre classique espagnol où elles retrouveront la place qui leur revient». L'appel est donc lancé…

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