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Lamentables, ces Scandicus !

Rencontre des musiques anciennes

Il est des soirées qui restent dans les mémoires en raison de la beauté du concert mais celle ci fut plus riche encore qui donna au mot «lamentable» son sens premier et définitif. Ne vous y fiez pas si les Scandicus sont lamentables, au sens ancien : propre à soutenir la lamentation, c'est un compliment tout à fait mérité ! Ce jeune ensemble de voix masculines nous a rendu le compositeur proche et contemporain avec une interprétation généreuse et engagée des Lamentations du Prophète Jérémie. Précédée par une courte conférence, modestement présentée par Jérémie Couleau, dans laquelle bien des secrets historiques et musicologiques nous ont permis de mieux comprendre le concert, l'interprétation de ces lamentations a été un moment rare. Le texte est fort, âpre même et terriblement parlant aujourd'hui encore. Michel Wolkowitsky a lu chaque lamentation avant qu'elle ne soit chantée. D'une voix forte et engagée il en a rendu toute la force d'éloquence. La puissance du verbe, parfois terrible, est à chaque fois extraordinairement enrichie par une musique d'une variété inouïe. Depuis leur CD, l'interprétation a pris du corps et les audaces vocales de ces chanteurs très engagés sont encore plus touchantes. Osant des nuances au bord de la fragilité, chantant seuls à deux, trois, quatre ou cinq, il a été possible de percevoir la beauté de chaque voix prise individuellement. Pourtant, c'est une écoute d'une rare intensité qui leur permet des jeux de couleur allant du festoiement lumineux au sombre soleil de la mélancolie. Lorsque les onze chanteurs unissent leur voix, ils peuvent créer un monde sonore d'une variété qui semble sans limite, jouant des couleurs et nuances de leurs voix comme peu le savent. Il faut dire qu'ils dégustent avec gourmandise texte et partition comme un miel éternel. La qualité de l'interprétation est à la hauteur d'une partition dont on ne dira jamais assez la splendeur et la variété d'inspiration.

La direction de Jérémie Couleau vient enrichir une interprétation avant tout basée sur une écoute mutuelle et une complicité de tous les instants. Le rituel des leçons des ténèbres qui éteint une bougie à chaque lamentation, en invitant la nuit de la méditation, a rajouté une émotion palpable. La répartition dans l'église en groupes divers a rajouté l'émotion d'une spatialisation envoûtante. Bien plus qu'un concert, Scandicus nous a offert une ouverture sur un monde de lamentations viriles inoubliables en raison d'une émotion quasi métaphysique. Cette Jérusalem perdue, évoquée à la fin de chaque Lamentation, devenant cette éthique humaniste pacifique que les hommes d'église eux-mêmes oublient depuis tous temps.

Le Misere en double-chœur, chanté dans la nuit, caché au regard du public a achevé cette plongée dans la conscience de la misère humaine, si lamentable.

Le public a fait une chaleureuse ovation à ces jeunes interprètes si généreux et si chaleureux, qui ont donc offert toute sa noblesse et sa force au mot lamentable.

Les émotions rares de ce programme seront offertes par Scandicus, au festival Eclats de Voix, le 19 juin 2009, en l'abbaye cistercienne de Flaran dans le Gers.

Crédit photographique : photo © Cristelle Quesada

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