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Claire Bodin : Indiscrétion féminine au salon Campra !


Il semble qu'avec et son ensemble, les Bijoux indiscrets de Diderot aient trouvé une nouvelle forme d'expression ! Quelques jours avant Les Puritains, nous ne nous étendrons pas davantage sur la comparaison, si ce n'est pour saluer l'heureuse initiative et son trait d'humour !

Donner la parole aux femmes, est devenu un lieu commun, un rien dépassé. Mais donner la parole aux femmes qui de leur vivant ne l'ont pas eu et révéler au grand jour des «bijoux» restés très discrets ou oubliés, voilà qui mérite qu'on s'y attarde, surtout quand les porte-voix indiscrets sont eux-mêmes de petits bijoux. Simple jeu de mots rhétorique pour une transition facile ? Ce serait après tout rejoindre l'esprit courtisan qui entourait la composition de ces œuvres, soutenues par Louis XIV ! Que nenni ! La grâce et l'originalité de cette soirée toulonnaise, étaient comme deux perles dans l'écrin doré du salon Campra. Antonia Bembo et Elisabeth Jacquet de la Guerre, ont ainsi repris vie et voix, sous les chandelles du candélabre posé sur la scène. Toutefois, si les voix de Noémi Rime et d'Edwige Parat s'épousaient très bien, une différence de style assez sensible perturba quelque peut l'équilibre. Noémi Rime, parfaitement dans l'interprétation baroque se démarquait d'Edwige Parat, plus lyrique. Si la qualité de voix de l'une comme de l'autre était irréprochable, on sentait chez la première une véritable imprégnation du répertoire, alors que la seconde semblait davantage reproduire un style qui lui était plus étranger.

Dans le premier psaume, on pouvait regretter un équilibre fragile entre les voix et la basse, de même entre les violons et la basse continue qui manquait d'assise. Par ailleurs au violon l'accompagnement de Birgit Goris ne soutenait pas toujours les voix. Ce premier psaume pâtissait un peu d'un manque d'ensemble des instruments, notamment sur les cadences instables. En revanche, tant pour la sonate IV que pour la sonate I d'Elisabeth Jacquet de la Guerre, (c'est-à-dire à instruments seuls) la basse continue a permis un très bon équilibrage avec les violons. Mais c'est la précision et la finesse, toute baroque, du second mouvement de la quatrième sonate que l'on retiendra. Un moment de rare ravissement, qui nous a plongé pour un trop court moment dans l'intimité même des salons de ces dames du grand siècle. Le public toulonnais a pu également se laisser envouter par la chaleur de la viole de gambe d' Etienne Mangot, légèrement contrariée par les fins de phrase de violons, comme en bout de course. Puis Noémi Rime, avec une diction parfaitement compréhensible interpréta magnifiquement le psaume L d'Antonia Bembo, desservie toutefois par les violons dont la ligne musicale était trop différente de la sienne. En revanche, la basse continue fut ici excellente, épousant à merveille tant par le rythme que par la chaleur, la chanteuse. L'ensemble qui ne cessa de renforcer son unité au cours du concert, marquait toutefois une nette distinction entre les morceaux d'instruments seuls et ceux avec voix, dans lesquels l'équilibre manquait de stabilité. Dans la deuxième sonate, le public, déjà conquis, a pu apprécier la précision et la finesse du mouvement rapide et la très grande unité de la viole de gambe et de l'orgue. Dans ce moment de ravissement on pouvait juste se trouver gêné par les attaques parfois approximatives des violons. C'est aussi leur indépendance qui fit un peu pâlir le dernier psaume. Mais l'ensemble des voix fut tel que cet inconvénient fut vite dépassé. Si sur le passage «accablé de misère» les deux dames étaient résolument sur deux lignes d'interprétations différentes, celui «daigne me secourir» fut rien moins que superbe. Au final donc, une soirée savoureusement indiscrète !

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