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Du Dohnányi « grande époque »

Contrairement à l'habitude actuelle consistant à filmer un «vrai» concert, les trois œuvres contenues dans ce DVD proviennent d'enregistrements réalisés sans public dans la grande salle du Musikverein, ainsi étrangement vide. Le processus d'enregistrement relève donc du classique produit de studio, tel qu'on pouvait le faire à la fin des années 70, à ceci près que l'image s'est jointe au son. Une image qui, bien que viennoise, rappellera étrangement certaines prises de vues berlinoises habituelles d'un autre «von», avec ses alignements de bois et cuivres rutilants enveloppés d'un halo de lumière. La solution de l'énigme se trouve dans le générique, à la ligne «directeur photo» où officie Ernst Wild, coréalisateur, directeur photo ou régisseur de nombreux films ou vidéos de Karajan.

Toutefois ce n'est pas l'aspect visuel un peu trop léché qui fait l'intérêt de cette publication, mais le côté purement musical nous permettant de retrouver à son plus haut le chef allemand  : il alliait, à cette époque, une incontestable vigueur pleine de panache à une qualité sonore peu commune, particulièrement évidente dans la série d'enregistrements qu'il fit à cette même période avec l'. Plus classique que romantique, sa direction tenait d'ailleurs plus d'un Toscanini (par sa rigueur rythmique, ses tempi rapides et sa «verticalité») que d'un Furtwängler (à la phénoménale puissance expressive). Mais contrairement à l'italien et son NBC, il bénéficiait avec Vienne et plus tard avec Cleveland, d'un instrument plus performant, qu'il savait formidablement faire sonner. Et dans ce style interprétatif particulier, précurseur de bien des lectures «traditionnelles» actuelles, (apparaissant, du coup, bien moins nouvelles que certains l'imaginent), il était alors presque sans rival, ce que montrent assez bien ces trois enregistrements, plus particulièrement Bartók et Mendelssohn.

Son Mandarin n'est jamais décorativement exotique, mais toujours en situation, avec juste ce qu'il faut de sonorités orientales pour planter le décor. Le chef fait admirablement sentir les rythmes sans les appuyer ni les mettre spécialement en exergue. Ainsi le flux musical – ô combien dramatique – n'est-il jamais rompu, culminant dans les passages les plus vifs et dynamiques, tel l'introduction ou le formidable sempre vivace final. Quant au Philharmonique de Vienne, il en surprendra plus d'un, habitué à une certaine routine, piège dans lequel cet orchestre tombe de temps à autre lorsque le chef ne l'inspire pas vraiment : il sonne aussi précis et virtuose qu'un orchestre américain, le charme sonore typiquement viennois en plus. Un Mandarin merveilleux de premier ordre.

Le style Dohnányi de ces années-là, (virtuose sans ostentation, précis sans sécheresse, au son de grande classe sans hédonisme gratuit), va formidablement bien à la musique de Mendelssohn, surtout lorsqu'elle est servie par une orchestre de cette qualité. On peut sans doute trouver des interprétations plus extrêmes de cette musique, dans le romantisme exacerbé ou l'anti romantisme forcené ! Mais comment ne pas admirer la qualité de la réalisation et l'intelligence de l'interprétation,

Les choix de tempo toujours pertinents font constamment avancer cette musique, ne délaissant ni la grande ligne ni le souffle, préservant comme bien peu la transparence du grand orchestre sans en sacrifier la puissance expressive. Bref, du travail de très haute qualité que tout amoureux de l'orchestre ou de Mendelssohn se doit de connaitre (en DVD ou par l'enregistrement purement audio paru chez Decca).

Le programme est complété par la Burleske pour piano et orchestre de , joué avec vigueur et sensibilité par Rudolf Buchbinder sur un Bösendorfer. Là encore, l'équilibre et la mise en place orchestrale sont formidables. Tout ces éléments nous donnent un DVD musicalement exemplaire, montrant un chef qui n'a peut-être pas eu la popularité des plus célèbres stars de son époque, mais qui était en ces années-là à l'apogée de son art : un constat plus difficile à faire aujourd'hui, à l'écoute de son dernier concert parisien, où l'évidente flamme qui habite ces enregistrements viennois semble s'être éteinte.

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