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Le petit Kreisler illustré

fut certainement le virtuose le plus légendaire de la première moitié du XXe siècle. Né à Vienne, il étudie dans sa ville natale et à Paris, suivant les cours de personnalités comme Anton Bruckner, Joseph Hellmesberger, Joseph Massart, Jules Massenet et Léo Delibes. Sa carrière débute rapidement : dès 1888, il se produit en récital à New York, avant d'entamer une tournée avec le pianiste Moriz Rosenthal. Rentré à Vienne, il tente d'entrer – sans succès – à l'Orchestre Philharmonique de Vienne. Déçu, il entreprend alors des études de médecine avant d'effectuer deux années de service national. Mais l'appel du violon est trop fort et le virtuose se relance à l'assaut des grandes scènes mondiales.

En 1910, il donne la première audition du Concerto pour violon d'Elgar qui lui est dédié. La première guerre mondiale le conduit aux Etats-Unis. Installé à Berlin, puis en France à la fin des hostilités, il oriente progressivement son centre de gravité musical vers les Etats Unis, où il s'installe définitivement en 1943. Il réduit progressivement ses activités et donne son dernier concert public en 1947, affaibli par plusieurs accidents.

Compositeur, Kreisler a laissé de nombreuses partitions originales et virtuoses pour son instrument, à l'image du «Tambourin chinois» et du «Liebesfreud», ainsi que des arrangements très personnels de pièces baroques. Ces confiseries peu diététiques, mais délicieusement sucrées, continuent de faire le bonheur des violonistes. De ses autres compositions, on retient un quatuor à cordes et deux opérettes, dont Sissi (1932). Kreisler possédait plus d'une douzaine de violons historiques : des Guarneri, des Stradivarius et un Vuillaume.

Mais Kreisler, c'est surtout un style ! Un style reconnaissable entre mille par cet art si particulier du vibrato, ce sens du phrasé (avec une économie d'archet) et ce son à la séduction immédiate. Au sortir de ces années de doute, il se met à travailler et à tester différentes options techniques. Il abandonne ainsi les coups d'archet appuyés et larges des violonistes du XIXe siècle, comme Ysaye et Joachim.

Kreisler serre au maximum la vis de son archet pour obtenir une tension maximale, alliée à une utilisation restrictive de l'archet, qu'il pratiquait seulement par le milieu. Dès lors, la sonorité s'avéra riche, ce qui frappait tant les auditoires des années 1900. L'usage spécifique d'une large palette de vibrato est adaptée à chaque variation du discours musical, afin d'en accentuer la force expressive. Le dernier point de l'approche de Kreisler réside dans un usage savamment étudié du portamento, technique caractéristique pour cette école du violon au début du XXe siècle.

Ce beau coffret EMI offre aux néophytes, aux baroqueux non repentis et aux musicologues stakhanovistes de l'exactitude, une excellente session de rattrapage à prix raisonnable. Par ailleurs, il est passionnant de pouvoir comparer les différentes interprétations du violoniste au fil des multiples prises des Concertos de Beethoven, Brahms et Mendelssohn. Le soliste, qui se fond avec une totale flexibilité dans les accompagnements orchestraux, est le maître de cérémonie et semble, à chaque note, capable des plus belles variations. Les Sonates pour violon et piano de Beethoven, mais surtout les pièces virtuoses, voient un Kreisler, narratif à souhait, inventer un monde et ses mille histoires.

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