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Parole perdue, voix disparue

De mémoire de festivalier, c'est la première fois que Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon collaborait avec le théâtre des Treize Vents et son directeur Jean-Claude Fall. Initié par Jean Vermeil qui en écrit le livret, le drame acousmatique (aucune source sonore n'est en effet visible) Parole perdue donné en création mondiale aura mis quelques sept ans à voir le jour. Il fait écho à la Voix humaine de Jean Cocteau/Francis Poulenc mais en inversant les rôles : c'est l'homme ici qui tente de reconquérir celle qui cherche à le fuir. Si l'issue du drame diffère, elle n'en est pas moins cruelle.

Jean Vermeil conçoit un monologue un rien profus de 50'dit en voix off, celle de Guillaume Depardieu enregistrée en 2005. Seule en scène, la Femme reçoit cette voix par canaux interposés (téléphone, répondeur, interphone, colonne du vide-ordure) mais ne dit mot. En confiant le rôle à Emmanuelle Laborit, petite fille du scientifique Henri Laborit née sourde, Jean Vermeil entend «renforcer le malaise de l'incompréhension dans cette confusion entre le non vouloir et le non pouvoir communiquer». La fascination exercée par ce personnage nimbé de silence et la voix disparue de Guillaume Depardieu – mêlant tout à la fois violence et suavité – suscitaient ce soir une émotion tout à fait singulière.

Censée réagir à des propos qu'elle n'entend pas, Emmanuel Laborit réalise une véritable performance scénique, répercutant dans son corps – elle devra simuler une scène d'amour avec «l'homme invisible» – et sur son visage – grâce aux zooms d'une captation vidéo en direct – les assauts de ce harcèlement amoureux. La source électroacoustique diffusée dans la salle à travers les seize haut-parleurs constitue l'enveloppe dramaturgique essentielle du spectacle ; dans une très belle gestion du temps, le virtuose «acousmate» qu'est élabore au fil du drame des trames sonores de plus en plus riches véhiculant les tensions de ce huis clos suffocant. Aux quelques éléments de décor – un lit, un ordinateur, des robes suspendues – la mise en scène efficace de Jean-Claude Fall inclut en fond de scène une vidéo créant un arrière plan mouvant (on assiste ainsi à un spectacle de marionnettes figurant les voisins de l'immeuble) tandis qu'un écran transparent sur le devant du plateau crée une perspective intéressante par des surimpressions d'images. Autant de sources interactives et convergentes contribuant à la réussite de ce spectacle empreint d'une beauté tragique.

Crédit photographique : Emmanuelle Laborit (La femme) © Marc Ginot

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