- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Leopold Stokowski et la musique de son temps

La longue carrière de (1882-1977) a déjà été évoquée lors d'une parution du label allemand Membran 231059 regroupant en 10 CD diverses pages du répertoire courant. Voici cette fois ce chef légendaire dans des interprétations remarquables à plus d'un titre d'œuvres d'un seul compositeur, (1906-1975), en l'occurrence les Symphonies n°5, n°6 et n°7 « Leningrad ».

Les versions de chefs illustres tels que Evgueni Mravinski, Kyrill Kondrachine, Rudolf Barshaï ou Guennadi Rojdestvensky nous sont bien sûr familières, et elles nous paraissent d'autant plus authentiques qu'elles sont évidemment les visions de compatriotes contemporains du compositeur. A priori, on n'attendait donc pas Stokowski, champion de la sensualité sonore et – reconnaissons-le – d'une certaine théâtralité, dans ce genre de répertoire où satire et révolte alternent avec angoisse plaintive ou fierté triomphante. Et pourtant, la personnalité complexe de Stokowski est finalement en osmose totale avec celle de cet écorché vif qu'était Chostakovitch ; il est donc tout naturel qu'il ait été attiré par le musicien russe, et qu'il se révèle l'un des plus ardents défenseurs de son art. Par ailleurs rappelons que Stokowski est réputé avoir dirigé plus de deux mille créations mondiales ou premières en Amérique tout au long de sa carrière : il n'est donc guère étonnant de retrouver parmi elles certaines œuvres essentielles de Chostakovitch. Les deux hommes se vouaient d'ailleurs une admiration et un respect mutuel : Maxime Chostakovitch, le fils du compositeur, écrivit un jour « … mon père parlait souvent passionnément des interprétations de ses compositions par Stokowski, de l'excellence de son art de la direction, et il exprimait souvent sa sympathie personnelle envers Stokowski, l'homme. »

En revanche, Arturo Toscanini qui donna la première audition américaine de la Symphonie Leningrad le 19 juillet 1942, n'était guère apprécié de Chostakovitch, ainsi que l'atteste les propos du Russe : « Je hais Toscanini. Je ne l'ai jamais entendu en concert direct, mais j'ai suffisamment écouté ses enregistrements. Ce qu'il fait à la musique est terrible, selon mon opinion… Il m'a « honoré » en me dirigeant : j'ai écouté ces enregistrements également, et ils ne valent rien. » Inutile de préciser que l'antipathie de Chostakovitch envers l'illustre maestro était réciproque…

Les enregistrements « stokowskiens » des Symphonies n°5, n°6 et n°7 de Chostakovitch furent réalisés dans la foulée de leur première exécution et offrent une authenticité et une spontanéité qu'inévitablement on ne retrouve que rarement dans les enregistrements ultérieurs, tout excellents qu'ils soient. Ces gravures sont des témoignages de premier ordre dans l'histoire de l'interprétation non seulement d'œuvres de Chostakovitch, mais aussi de l'art de .

La Symphonie n°5 fut gravée par RCA Victor le 20 avril 1939 avec l'Orchestre de Philadelphie, dix-huit mois après sa création à Leningrad par Evgueni Mravinski. L'enregistrement de la Symphonie n°6, toujours avec la même phalange, suivit d'un an la rédaction de la partition entre avril et octobre 1939, puisqu'il fut réalisé en décembre 1940. La Symphonie Leningrad, contrairement aux deux autres enregistrées en studio à l'Academy of Music de Philadelphie, fut captée en public le 13 décembre 1942 au NBC Studio 8-H de New York, lorsque Stokowski dirigeait l'Orchestre Symphonique de la NBC (National Broadcasting Corporation) conjointement avec Toscanini : cette exécution, qui suivit de près celle de la création par le maestro italien, lui est nettement préférable, ce qui n'est guère étonnant suite aux appréciations du compositeur.

Les transferts des Symphonies n°5 et n°6 ont été, comme de coutume, idéalement accomplis par l'excellent , tandis que ceux des acétates de la Symphonie Leningrad ont bénéficié des soins exceptionnels de Kit Higginson qui fait partie de l'équipe du remarquable label américain Music & Arts. Rehaussée par un visuel reproduisant une peinture d'un Chostakovitch au regard halluciné, réalisée par I. A. Serebrianyi (1907-1979), cette publication est donc particulièrement précieuse, non seulement pour les « fans » de , mais surtout pour tous les mélomanes tant soit peu intéressés par l'histoire de la musique enregistrée.

(Visited 464 times, 1 visits today)