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Le coup de foudre pour un Silbermann reconstitué

Au début des années 70, un jeune facteur d'orgue inconnu, originaire du Jura et installé dans le midi non loin du Mont Ventoux, se prit à s'intéresser aux orgues de Saxe à l'époque de , eux aussi totalement inconnus alors de notre côté du rideau de fer. Gérald Guillemin entrait dans l'histoire de la facture d'orgue française au travers de cette approche particulière. Quelques amis organistes lui firent alors confiance et lui permirent d'édifier ses premiers instruments, de petite taille, après une étude approfondie de plus de trois années auprès des originaux de Gottfried Silbermann, miraculeusement conservés depuis leur construction voici presque 300 ans. Après ces quelques galops d'essais, son premier instrument d'importance fut celui d'Aubusson inauguré en 1982, et vedette du présent enregistrement. Effectivement, dès les premières minutes d'écoute, nous nous sentons très proches des sonorités des instruments originaux, comme si un art perdu avait été tout à coup retrouvé, ressuscité. Il est vrai que depuis vingt ans maintenant, les orgues de Saxe sont accessibles et bien connus des mélomanes, mais au début des années 80, l'évènement était de taille dans le monde de l'orgue baroque. C'est dire combien ce genre d'orgue sert au mieux la musique de Bach, qui de son vivant, les joua, les inaugura, et les aima sans doute beaucoup.

nous offre un récital varié de pièces de divers caractères dans l'œuvre du cantor. Les registrations sont judicieusement choisies selon, entre autres, quelques indications de Gottfried lui-même qui souhaitait que ses orgues soient utilisés de la meilleure manière. L'orgue est clair, mais profond, on y retrouve cette fameuse «gravitat» (gravité) chère à Bach, et à Gérald Guillemin. Le tempérament inégal apporte une troisième dimension au son, il fut directement choisi d'après celui de Silbermann, proche du mésotonique. On sait la querelle de Bach à ce propos qui souhaitait un tempérament docile et rompu à la plupart des tonalités et modulations. Le compromis fut trouvé au travers de quelques modifications dans la manière d'accorder les orgues à partir de cette époque, de manière plus égale. Toutes les pièces ici présentées s'écoutent avec bonheur. Citons un seul exemple avec la partita «Sei gresüsset», suite de variations de plus en plus savantes et intenses, mettant à chaque fois en valeur un mélange de jeux caractéristique. L'avant dernière variation, très développée, paraphrase le texte de la strophe du choral, qui nous parle du chemin de Jésus sur la terre : Au moment où le texte évoque que l'homme est guidé par le Sauveur, le cantus firmus passe à deux voix, en un sublime sommet musical et spirituel.

L'interprétation de est belle, inspirée, fruitée, sans excès de vitesse, comme on les aime, toute l'essence de cette musique se savoure pleinement à chaque note. La prise de son rend parfaitement justice à l'image sonore de cet instrument et de l'acoustique dans laquelle il s'épanouit. Pour un premier grand orgue, ce fut un coup de maître. Fort de cette réussite, viendront ensuite d'autres orgues aujourd'hui célèbres : Agde, Chavagnes, Alès… mais ceci est une autre histoire.

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