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Paradoxal Gergiev

Après la série 100% Prokofiev 2008 (en octobre et en mai), et le revenaient à Paris pour deux programmes à moitié russes seulement, avec deux symphonies de Chostakovitch auxquelles se joignirent Brahms le premier soir et Debussy le second. Autant dire trois univers musicaux très différents. Comment nos interprètes allaient-ils résoudre cette équation, entre différentiation ou rapprochement des styles ? La réponse fut plutôt le rapprochement, avec un Brahms et un Debussy plus russes que prévu, pour des effets parfois heureux, parfois moins.

Cela commença par un Concerto n°2 de Brahms très étonnant, qui démarra tout en énergie, dense, tendu comme un arc, finalement assez alla Chostakovitch. On se demandait alors si allait suivre le chef dans cette direction assez différente de ce que lui-même a fait jusqu'ici dans cette œuvre. La réponse fut un oui franc et massif, pianiste et chef étaient bien sur la même longueur d'onde pour nous emmener avec eux dans cette vigoureuse lecture qu'on imaginait plus adaptée au premier concerto. Ainsi l'aspect pastoral, justement rappelé dans le programme du concert, du magnifique dialogue cor piano introductif avait disparu au profit d'un «tumultueux et passionné» que la même notice attribue, avec raison, au Scherzo. De fait ces deux mouvements joués presque d'une seule foulée, sans respiration, atteignaient une exemplaire unité expressive, prenant l'auditeur à la gorge sans relâcher la tension. Evidemment l'Andante ne pouvait continuer sur cette voie, fit rupture, et apporta le calme et la sérénité plus habituelle de ce mouvement. Tout juste pouvait-on regretter que le poignant solo de violoncelle fût un peu trop neutre alors que c'est un des plus beaux moments d'émotion de tout le concerto. Restait le final, Allegretto grazioso, où les interprètes ont essayé de reprendre le ton des deux premiers mouvements, mais ils furent moins convaincants, tant les thèmes, légers et grazioso, de ce mouvement se prêtent difficilement à ce traitement. Néanmoins cette interprétation atypique fut assez intéressante, originale et très bien défendue par un chef et un pianiste à l'unisson, même si pas totalement convaincante dans son final. En bis, ajouta la délicieuse Danse des esprits de l'Orphée et Eurydice de Gluck.

Le lendemain choisit La Mer de Debussy pour ouvrir la soirée. Là encore, la vision du chef nous amena assez loin des versions traditionnelles françaises plus subtiles et nuancées et néanmoins très vivantes pour les meilleures. Et comme la veille, le début fut plus convainquant que la fin, avec un De l'aube à midi sur la mer bien en place, s'enchainant avec une remarquable fluidité, où déjà les fortissimos semblaient plus propulsés en décibels et un poil épais en texture pour cette musique, habituellement plus raffinée. Néanmoins ce petit défaut restait au niveau du détail dans ce début d'œuvre, mais l'influence russe soufflait déjà sur cette Mer qui, comme le concerto résista assez bien deux mouvements avant de fléchir dans le final où il n'était sans doute pas besoin d'en rajouter en poussant sans nuances le potentiomètre à un niveau «chostakovien», avec une certaine épaisseur de son qui cette fois allait sans doute trop loin.

Les deux pièces de résistance unissant les deux concerts étaient, dans cet ordre, les Symphonies n°11 et n°8 de Chostakovitch. Et paradoxalement, le chef sembla se retenir ici, jouant avec plus de sobriété sinon de neutralité, qu'il l'avait fait pour Brahms et Debussy. Cela ne sauta pas encore aux oreilles dans La place du palais, premier mouvement de la n°11, long adagio qui ne raconte rien mais esquisse l'atmosphère précédant le drame sanglant de l'année 1905 (sous-titre de la symphonie) raconté dans le second mouvement Le 9 janvier. Son manque d'animation, d'invention et l'effet patchwork n'est pas facile à masquer mais la réalisation exemplaire du LSO sut néanmoins en traduire les différents climats. Mais on pouvait s'attendre à un surcroit de violence, de cris et de douleur pour Le 9 janvier où Gergiev ne sembla pas vouloir exacerber l'aspect âpre et tranchant de ce mouvement, comme s'il se retenait quelque peu, préparant le funèbre Adagio qui suit. Cette retenue expressive assez généralisée a, pour nous, été moins gênante dans la n°11 parfois proche d'une musique de film, et bien dans l'esprit soviétique de l'époque de son écriture (1957) avec certaines lourdeurs, voire trivialités dans le mélange de mélodies populaires et de musique originale, et tout le talent du chef n'y pouvait rien. Alors que la Symphonies n°8 est un incontestable chef-d'œuvre qui mérite une attention de tous les instants. Et là, le déficit expressif s'est senti dès l'énoncé trop legato du premier thème, procédé repris dans les mouvements suivants, qui en amoindrissait immédiatement la puissance. C'est surtout le long Adagio initial qui nous paru manquer de force (mais pas de décibels), les épisodes s'enchainant dans une certaine indifférence. Ainsi admirait-on le long solo de cor anglais au cœur de cet Adagio tout en regrettant sa neutralité de phrasé et l'inexpressivité du tapis de cordes qui l'accompagnait, ce qui fit que le frisson qu'on attendait lors du changement de tonalité vers plus d'optimisme à la fin de ce solo n'eu point lieu. Mais il faut reconnaître qu'en dehors de ce déficit expressif, la démonstration du LSO fut patente, impressionnante, et un peu comme après les concerts Haitink Chicago, nous pourrions dire que nous sommes restés à la frontière entre belle exécution et interprétation mémorable pour ces très attendus Chostakovitch.

Crédit photographique : © Fred Toulet / Salle Pleyel

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