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Trios de clarinette par Florent Pujuila, ça pour un contraste !

est une personnalité à suivre dans le paysage de la jeune génération. Interprète généreux, touche-à-tout, il réserve toujours une petite surprise à ses auditeurs, à l'instar d'un Laurent Korcia.

C'est peut-être cela être un musicien aujourd'hui : avoir la capacité de transcender les genres, et de se livrer à toutes sortes de répertoires avec la même fougue et la même conviction. Il en est ainsi de son dernier enregistrement, qui se définit tout à fait par rapport au titre de l'une des œuvres programmées : Contrastes. Quoi de commun, en effet, entre Brahms, Bartók et Khatchaturian ? Au mieux, on répondra qu'ils ont tous les trois écrits des trios avec clarinette.

Œuvre grave et profonde, le Trio de Brahms nous montre un musicien qui ne peut se résoudre à prendre sa retraite, parce qu'il a encore beaucoup de choses à dire au seuil de la mort. Cette partition épurée, introvertie, utilise la clarinette dans les graves, et requiert dans certains passages une grande homogénéité des parties, qui nous comble ici tout particulièrement dans l'Allegro – qui n'a d'allègre que l'indication agogique. L'Adagio suivant est somptueux, on y sent sourdre une révolte intérieure sous les dehors de la résignation et de l'adieu à la vie, cependant que l'Andantino dissipe cette atmosphère mortifère avec de curieux accents populaires, à la limite du jodl tyrolien, joliment assumé par les interprètes – ce qui offre un petit rayon de soleil salutaire au sérieux du discours. L'Allegro final enfin est désespérément faible, sans que cela soit de la faute des musiciens. Sans doute l'une des œuvres les plus crépusculaires de ce compositeur.

On retrouve peu ou prou cette atmosphère dans les Contrastes de Bartók, bien que le compositeur semble tout d'abord vouloir se souvenir de la clarinette de Benny Goodman et lui ai quasiment réservé le premier thème du Verbunkos, goguenard en diable. Cela dit, le drame personnel de l'artiste refait très vite surface, mêlé aux mélodies inspirées d'un folklore incertain voire étalé dans une de ses plus belles musiques nocturnes, le curieusement nommé Piheno («repos») central. Le final quant à lui vaut le détour pour la sonorité aigre, agressive et le jeu volontairement maladroit de , transformée pour l'occasion en violoneux idéal, qu'on imagine aisément battant le pavé dans une cité d'Europe centrale. Œuvre de commande, Contrastes réserve bien entendu des plages cadentielles à la clarinette et au violon, non seulement très inspirées, mais rendues avec l'aisance et la musicalité de vrais virtuoses par les interprètes.

Pour ce qui est de l'œuvre de Khatchatourian, on ne saurait former un avis global. Si le premier mouvement est irrésistible, tant la synthèse de tournures orientales voire populaires et de la syntaxe savante y fait merveille, les deux mouvements suivants perdent rapidement leur souffle. En effet, tandis que les secondes augmentées deviennent plus caricaturales à mesure qu'elles s'ajoutent les unes aux autres, certaines formules d'accompagnement pianistique frôlent le mauvais goût en empruntant au bal musette. Restent de très belles plages de mélancolie pure, ainsi que la toute fin de l'œuvre, qui va en s'évanouissant. Au final, et comparé au génie d'un vieux Brahms ou d'un Bartók au seuil de son exil, l'œuvre du jeune Khatchatourian semble à bien des égards fort anecdotique.

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