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Karen Vourc’h et le Quintette Moraguès : comme un oiseau qui n’est pas d’ici

Original et varié, ce récital promet un agréable dépaysement. C'est aussi l'occasion, trop rare, d'apprécier la musicalité des langues scandinaves, en l'occurrence le danois, le suédois et les deux langues parlées en Norvège, le Bokmål et le Nynorsk. Dans les mélodies de Grieg, Monsieur Croche raillait «la musique pour bercer les convalescents dans les quartiers riches», un quolibet que Debussy réutilisa sans vergogne pour parler de Frederick Delius… et rendent justice à ces pièces en révélant leur potentiel dramatique et poétique. Le duo travaille avec ferveur pour faire oublier l'obstacle linguistique et atteindre le ton juste, passant de la noblesse d'Un cygne à la primesautière Danse du chevreau, jusqu'au féérique et inquiétant Avec un nénuphar. Même réussite expressive dans les mélodies de Sibelius et de Barber, notamment les lugubres Roses noires et la tendre compassion de The Crucifixion.

Accompagnée avec art par , dispose d'une tessiture étendue et d'une voix excellemment projetée, des qualités appréciables dans ces mélodies qui ont attiré de grands chanteurs lyriques, comme Kirsten Flagstad et Jussi Björling dans Grieg, Kim Borg dans Sibelius, et Leontyne Price, dédicataire des Hermit songs de Barber. On peut tout de même juger que son engagement vocal pourrait être plus nuancé et que l'intensité sonore devrait être mieux subordonnée à celle de l'expression. Par moments, c'est cette générosité même qui la dessert, l'amenant à brusquer la progression des fameux Je t'aime et Un rêve de Grieg, et dérangeant la ligne des deux mélodies nocturnes de Barber, par ailleurs affectées par une prononciation anglaise assez floue.

Pour la seconde partie, le entre en scène : hélas, l'arrangement de Shéhérazade cause une franche déception. Le quintette à vents, qui peut donner ailleurs des résultats si intéressants, ne semble guère adapté à l'écriture de Ravel dans cette pièce : l'ensemble sonne terriblement opaque, et manque de relief et de couleur, un comble pour une partition aussi chatoyante ! C'est d'autant plus dommage que l'interprétation de , totalement assurée sur le plan vocal, est une belle réussite : elle dit le texte avec gourmandise, elle rêve les yeux ouverts aux sortilèges de l'Orient, elle peint L'indifférent avec une charmante nonchalance. Cette fraîcheur change heureusement de la préciosité si souvent cultivée dans l'œuvre. Le se rattrape tout de même dans les chansons de Canteloube, dont l'orchestration, pourtant chamarrée, se plie bien mieux à la réduction. Le concert s'achève sur une prestation cocasse de Je te veux, de Satie, dont la chanteuse dédie chaque strophe à un des instrumentistes.

Crédit photographique : Karen Vourc'h © Yves Petit

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