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Brahms vu par Dohnányi : avantage pair

Quelques jours à peine après un beau Wozzeck, nos amis britanniques du Philharmonia retrouvaient le Théâtre des Champs-Élysées pour deux soirées consacrées aux symphonies de Brahms sous la direction de celui qui, après avoir été leur Principal Guest Conductor (en 1994) puis Principal Conductor (à partir de 1997) est désormais leur Honorary Conductor for Life : . Le chef allemand, qui vient de fêter ses quatre vingt printemps, avait programmé les symphonies impaires le premier soir, et les paires le second, à chaque fois dans l'ordre inverse des opus, réservant ainsi les deux finals les plus spectaculaires en conclusion de chaque concert, posture classique favorisant l'applaudimètre mais moins la logique musicale mieux servie par l'ordre chronologique.

Ainsi donc la Symphonie n°3 ouvrit le feu avec ses deux «simples» accords en guise d'introduction d'un Allegro con brio marqué explicitement passionato. Tout le caractère de ce mouvement, sinon de la symphonie, est donné dès ces premières mesures et avouons que ce soir, un climat assez neutre et flottant prit le pas sur le grandiose et affirmé passionato typiquement brahmsien que nous attendions. Cette relative indécision expressive pénalisa d'ailleurs toute la symphonie, voire toute la soirée, où le chef ne réussit pas vraiment à trouver la clé de la logique organique interne à cette musique, en particulier dans les deux mouvements extrêmes où les épisodes apparaissaient trop séquentiels. Ce que la reprise systématique des premiers mouvements ne fit qu'accentuer. Sans doute Dohnányi voulait de cette façon éviter l'excès de pathos dans lequel tombent certains, mais le prix à payer, un peu élevé à nos oreilles, fut la quasi neutralisation expressive de toute l'œuvre. Tout cela fit une exécution correcte mais sans passion, d'autant que l'orchestre ne se montra pas superlatif dans les moments les plus difficiles (qui ne manquent pas chez Brahms), avec un quatuor sur la réserve, ici où là en très léger désordre.

Lui succéda une Symphonie n°1 qui elle aussi manqua de tension dès son début un poco sostenuto que Brahms aurait peut-être été bien inspiré de marquer simplement sostenuto, car ce soir nous n'avons entendu que le poco. Cette introduction, déjà morceau de bravoure pour l'orchestre qui doit d'emblée imposer sa puissance et sa pate sonore jusqu'au sommet du crescendo juste avant l'arrivée des fameux pizzicati (d'ailleurs, toute la soirée, ces si importants pizz manquèrent de force expressive), ne nous a pas soulevés de notre siège. Mais ce n'était pas là le plus gênant de ce premier mouvement dont le gigantesque crescendo au cœur du développement aurait dû en constituer le sommet alors qu'il nous apparut comme son ventre mou, car, outre une exécution banale, le chef ne réussit pas à amener ce passage dans la continuité logique et inévitable de ce qui précède, enlevant à tout ce mouvement son centre de gravité. On nous permettra ici d'oser penser que le chef a complètement raté ce passage, tellement phénoménal quand il est réussi. Alors, comme pour la Symphonie n°3 qui l'a précédée, nous sommes restés sur notre faim brahmsienne, sauf à la toute fin, dans l'emballement parfaitement réussi du più allegro.

S'il s'était montré moyennement inspiré par les symphonies impaires, nous nous disions que les symphonies paires devaient aller beaucoup mieux au style plus classique que romantique de , ce qu'une très remarquable Symphonie n°4 nous démontra avec éclat. Voilà le grand Dohnányi à l'œuvre, comme à ses plus beaux jours, entrainant avec lui un Philharmonia qui lui aussi monta d'un cran dans le niveau d'excellence, démarrant cette symphonie avec la même densité qu'il avait finit le più allegro la veille, et réussissant à monter en tension et intensité quand il le fallait. Il n'y avait plus rien à redire sur la progression de chaque mouvement cette fois-ci sans faille, ni sur l'exécution aux couleurs et à la dynamique plus affirmées. Et même si certains solistes mirent un peu plus d'espressivo que nécessaire dans leur intervention, cela resta dans les limites du raisonnable et fit de cette quatrième la grande réussite de cette série. Juste devant la Symphonie n°2 qui conclut le cycle, avec les mêmes qualités d'exécution que sa cadette, mais quelques légers passages à vide expressifs qui, contrairement au premier soir, étaient suffisamment limités pour ne pas gâcher le plaisir. Qui aurait peut-être été plus parfait avec un orchestre comme le Philharmonique de Vienne, avec lequel le chef signa naguère certains de ces plus beaux disques, dont l'inimitable quatuor aurait apporté une richesse et une couleur plus naturellement brahmsienne.

Crédit photographique : © Terry O'Neill / Decca

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