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Antal Doráti pour la gloire de Joseph Haydn

Lorsqu'à la fin des années 60, Decca annonça son intention d'enregistrer l'intégrale des Symphonies de Haydn, le monde musical avait déjà connu une tentative équivalente grâce au chef américain Max Goberman dont le désir était de graver sur son propre label (Library of Recorded Masterpieces) l'ensemble de ces œuvres avec l'Orchestre de l'Opéra d'État de Vienne ; toutefois le décès inopiné de Goberman en décembre 1962 coupa net ce projet qui nous laissa néanmoins sous sa direction une quarantaine de symphonies. Il n'est donc guère étonnant que l'entreprise de Decca, aussi hasardeuse qu'audacieuse et presque incroyable à l'époque, éveillât quelque scepticisme par son ampleur démesurée, mais au fur et à mesure de la parution régulière des dix albums totalisant quarante-huit disques microsillon, ce scepticisme se mua rapidement en admiration unanime.

Il faut bien avouer que le prestigieux label anglais, premier à avoir gravé en stéréo et en studio tout L'Anneau du Nibelung de Wagner (par Solti), était vraiment désigné pour relever le défi et mener à bien cette titanesque réalisation : en la confiant à l'excellent et ses superbes musiciens du , il mettait tous les atouts de son côté. Cette admirable phalange, créée à Vienne au lendemain de la révolution hongroise de 1956, comprenait essentiellement des musiciens magyars exilés ne possédant que leur instrument pour tout bagage ; , chef d'orchestre hongrois de renommée internationale, était le choix idéal pour cet ensemble qui avait déjà accompli sous sa direction quelques gravures pour Mercury.

Doráti débuta son intégrale des Symphonies de Haydn en 1969 avec le premier album contenant les n°65 à 72, et l'acheva quelques trois années plus tard avec le dixième incluant des versions alternatives de certains mouvements.

Il n'est évidemment pas question de commenter ici chacune de ces 107 partitions remarquables qui ont fait évoluer la forme de la symphonie vers son apogée et imposé comme l'un de ses plus grands maîtres. Qu'il nous suffise de préciser que le classement traditionnel de 104 de ces symphonies en 1907 par Eusebius von Mandyczewski est loin d'être strictement chronologique : exemple édifiant parmi d'autres, selon Anthony van Hoboken et surtout les travaux plus récents du très érudit musicologue américain Howard Chandler Robbins Landon qui fait actuellement autorité en la matière, la Symphonie n°72 en ré estimée composée vers 1763 est non seulement nettement antérieure à la Symphonie n°65 en la datant de 1771-1773, mais semble contemporaine de la Symphonie n°31 «Hornsignal» (1765), et plus étonnamment, des trois ravissantes Symphonies n°6 à 8 (Le Matin, Le Midi, Le Soir) composées peu après la signature du contrat qui lie un jeune Haydn de 29 ans à la famille Esterházy dès le 1er mai 1761.

En plus d'une Symphonie n°106 en ré (1768-1770) perdue jusqu'à preuve du contraire, von Mandyczewski exclut de son catalogue les Symphonies n°107 (1762) et n°108 (1765), toutes deux en si bémol, et dénommées respectivement «A» et «B», considérant la première comme un Quatuor à cordes (op. 1 n°5 – Hob. III : 5) et la seconde comme Partita appartenant de la sorte à la catégorie des Divertimenti. Il est admis de nos jours que ces deux partitions sont originellement de véritables symphonies et c'est à ce titre qu'elles figurent dans l'intégrale d'.

Mais le grand chef hongrois ne s'arrête pas là, puisqu'il nous propose en outre une version alternative de la Symphonie n°22 «Le Philosophe» (2de version) et de la Symphonie n°63 «La Roxelane» (1ère version), ainsi que trois fins alternatives de la Symphonie n°53 «L'Impériale» et une fin alternative de la Symphonie n°103 «Roulement de Timbale». Et cerise sur le gâteau, Doráti nous offre de plus la Sinfonia Concertante en si bémol pour hautbois, basson, violon, violoncelle et orchestre (1792), partition parfois nommée Symphonie n°105, et dont l'écriture pour le quatuor de solistes et la qualité d'orchestration en font l'un des joyaux de l'œuvre de Haydn.

De cet ensemble colossal dont on peut parfois préférer individuellement l'une ou l'autre symphonie connue dans l'interprétation de l'un ou l'autre chef, il est évident que globalement, l'intégrale Doráti, légendaire dès sa parution en microsillon, reste de loin la plus satisfaisante sur instruments modernes, respectueuse de la plupart des reprises, et supérieure à celle d'Adam Fischer (Brilliant Classics 99925, anciennement Nimbus) moins homogène et moins bien enregistrée. Aidée par son magnifique orchestre, l'interprétation intelligente et sobre d'Antal Doráti allie une maîtrise orchestrale, une direction précise, vivante, une spontanéité des plus fraîches à une analyse lucide en constante adéquation envers chacune de ces symphonies. Il était donc tout à fait opportun de rééditer ces précieux enregistrements dans le cadre du bicentenaire de la disparition de .

Avec la série d'opéras de Haydn également gravés par Doráti (4781776), l'intégrale des quatuors à cordes par l'excellent Aeolian String Quartet (4781267) et celle des sonates pour piano par le non moins remarquable pianiste (et compositeur) britannique John McCabe (4437852), Decca a décidément admirablement servi l'œuvre et la mémoire de , même si la notice du coffret sous rubrique, précisant uniquement les mouvements de symphonies, ne fournit aucun détail sur le compositeur, les œuvres ni les interprètes…

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