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Le romantisme épique de Svetlin Roussev et Frédéric D’Oria-Nicolas

Après avoir inauguré le label Fondamenta avec un récital Schubert très réussi, le pianiste Frédéric D'Oria-Nicolas propose une heureuse association entre deux œuvres pourtant séparées par cinquante années.

On a l'impression de bien connaître la dernière sonate de Grieg à cause du célèbre enregistrement de Fritz Kreisler et Serge Rachmaninov (1928), et pourtant on est toujours surpris par le charme irrésistible de cette partition. et en donnent une interprétation très satisfaisante sur le plan technique et vraiment intéressante sur le plan expressif. Sans céder à un pathétique outrancier, ils insufflent à l'œuvre une fièvre et un élan qui lui vont bien. Certes, le piano manque de couleur, mais il entoure avec sollicitude et fermeté un violon, qui, pour sa part, manque de rondeur, mais pas de mordant, ni de luminosité. Toutes les occasions expressives ne sont pas saisies, surtout dans le second mouvement, mais cette version, excellemment enregistrée, trouve naturellement sa place dans une discographie moins abondante qu'on ne pourrait le penser.

Bien que la Sonate n°3 de Medtner date de 1939, son romantisme ne semble pas attardé, et atteint au grandiose par des dimensions «épiques» (près de quarante minutes) et par un langage d'une complexité toute personnelle. L'introduction, d'une beauté hiératique, conduit à un Allegro foisonnant, où se révèle l'art du compositeur : les thèmes, typiquement russes, se succèdent sans transition, les repos harmoniques et les ponctuations naturelles sont le plus souvent évités. Il en résulte un discours puissant et tendu comme la strette d'une fugue (le moment proche de la fin où toutes les voix entrent de manière rapprochée). On imagine la concentration épuisante qu'un tel langage impose aux exécutants : et s'en tirent avec encore plus de cohésion et de raffinement que dans Grieg. Ils font aussi montre d'un superbe lyrisme dans le troisième mouvement, qui, curieusement, revient à un langage beaucoup plus proche de Brahms. Autre moment étonnant et révélateur : dans le Scherzo, le rythme issu du second thème se transforme brusquement en une habanera qui dure moins d'une minute avant le retour du torrent contrapuntique. C'est dire que Medtner ne recherche ni l'intériorité de Brahms, ni la sensualité de Rachmaninov, et que le mélomane en sera peut-être décontenancé. L'œuvre mérite pourtant d'être apprivoisée. Même si l'on peut rêver des enregistrements par David Oïstrakh et Alexander Goldenweiser (indisponible) ou par Vadim Repin et Boris Berezovsky (disponible uniquement dans un coffret de 10 CD consacré au violoniste chez Warner Classics), voici un disque à tous égards précieux.

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