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De Balanchine à McGregor, quelques torsions

En programmant Agon, Sphinx et Limen, le n'ignore pas l'une des recettes les plus fréquentes des soirées mixtes : un grand classique, une œuvre qui a fait ses preuves, et une création mondiale.

La compagnie l'appliquait à la lettre cet automne avec un programme venu s'insérer entre La Belle au bois dormant et Casse-Noisette – une touche de vingtième siècle bienvenue, mais qui reste une parenthèse plus ou moins naturelle pour les danseurs. Si Agon a quelque chose d'incongru dans ce contexte, l'étrangeté devient beauté dans Sphinx et Limen – le temps de quelques interprétations.

Le Balanchine d'Agon n'est sans doute pas celui qui va le mieux au . Ascétique à l'extrême avec ses simples justaucorps noirs et son fond bleu, l'œuvre exige une concentration absolue sur la partition de Stravinsky, dont elle tire l'intégralité de ses moyens. Malheureusement, la compagnie anglaise possède une musicalité veloutée qui s'en accommode mal, elle qui arrondit les angles et adoucit les accents – manque la pointe de danger, l'ultime ingrédient moderne. Dans le premier pas de trois, Samantha Raine et Yuhui Chœ n'ont pas tout à fait quitté Petipa et leurs oripeaux de fées, même si Ivan Putrov s'acquitte de sa tâche à leurs côtés. Mara Galeazzi, dans le tableau suivant, passe légèrement à côté de la musique, malgré un style approprié. Cet Agon valait pourtant pour le pas de deux final de et , tout en tensions, dans laquelle la jeune soliste se joue du sous-texte érotique face à un partenaire autrement plus expérimenté. Certainement moins anglaises que balanchiniennes, sa technique et son audace en scène devraient faire parler d'elle.

Contrairement au chef-d'œuvre éprouvé qu'est Agon, le Sphinx créé en 1977 par Glen Tetley a déchaîné les passions. Pourquoi une telle entrée au répertoire, alors que beaucoup jugent son esthétique datée? Cette œuvre inspirée par La Machine infernale a pourtant des qualités, et s'est révélée être un fascinant véhicule pour son trio de danseurs. Soit le second acte de la pièce de Cocteau, et son explication de la victoire d'Œdipe sur le Sphinx ; celui-ci devient un être féminin gardé par le dieu Anubis qui, lassée de son existence, tombe amoureuse d'Œdipe et lui donne la réponse à l'énigme. est un Sphinx de toute beauté, dont la puissance mi-humaine mi-animale fait exister l'œuvre – l'Œdipe de Rupert Pennefather est à la fois proie et objet de désir pour cet être indéfinissable, aux lignes de panthère. Edward Watson flirte avec les limites de l'humanité dans le rôle de l'implacable Anubis. Ce Sphinx n'insiste pas sur la narration, mais son interprétation cynique et ouverte du mythe a des affinités passionnantes avec Cocteau et propose une danse expressionniste devenue rare aujoutd'hui.

Le chorégraphe résident de la compagnie, , complétait la soirée avec une création au propos sans surprise pour lui. Cette fois-ci, son amour de la science trouvait à s'exprimer dans une projection sur grand écran de chiffres, si petits dans la scène finale qu'ils en viennent à former une constellation d'étoiles au néon. Le lien entre cette installation et les contorsions de la chorégraphie, plus flou que jamais, laisse la danse sans direction claire, et ce malgré une distribution toujours luxueuse. Un seul pas de deux, en complet contraste avec le reste de Limen, voit Sarah Lamb et Eric Underwood seuls en scène, air et terre, d'une beauté calme. Son regard à elle se perd dans une étrange vision tandis qu'il la niche dans ses bras – et la chorégraphie cesse enfin de fuir en avant pour se concentrer sur leur magnifique connexion. La cavalcade devrait peut-être s'arrêter plus souvent.

Crédits photographiques : Rupert Pennefather (Œdipe, Sphinx) ; Sarah Lamb et Eric Underwood (Limen) © Bill Cooper

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