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L’antichambre du ciel par la Capella de ministrers

En ce deuxième dimanche de l'Avent, la saison toulousaine des Passions invitait en l'église Saint-Aubin de Toulouse deux ensembles espagnols La et l'Almodi Cor de Cambra pour interpréter le célèbre Requiem ou Officium Defunctorum de Tomas Luis de Victoria, sous la direction du gambiste et chef d'orchestre .

Cette partition composée par un clerc pour les obsèques de l'impératrice Marie d'Autriche, sœur du roi Philippe II, convient parfaitement au temps de l'Avent par son caractère plus recueilli que funèbre. S'agissant d'une somptueuse composition de cour dans la plus pure tradition catholique romaine, selon les strictes prescriptions du concile de Trente, elle n'en fut pas moins considérée comme le sommet de la polyphonie espagnole et la messe de requiem la plus jouée en Espagne au début du XVIIe siècle. Chant du cygne de son auteur, cette messe contemporaine de la première édition du Don Quichotte de Cervantès, représente la fin d'une époque. C'est un adieu à la polyphonie de la Renaissance, qui marque également pour longtemps la fin de l'hégémonie espagnole sur le monde, mais aussi dans les arts, que ce soit la musique, la littérature ou la peinture.

La partition laisse une liberté d'expression aux interprètes, dont tire profit avec un grand bonheur. Il existe une longue tradition d'interprétation a capella de cette vaste construction à 6 voix, mais les musiciens valenciens dépassent l'austérité philippine avec une gourmandise presque jubilatoire en ajoutant au double chœur un ensemble instrumental formé d'une viole de gambe, une flûte à bec, un cornet à bouquin, deux sacqueboutes, un basson baroque, des percussions et un orgue.

Le résultat est à la fois somptueux et stupéfiant avec en ouverture une procession funèbre rythmée au tambour comme une mise en scène de la cérémonie funèbre. Cela donne une impression solennelle et recueillie, où la polyphonie transmet une vision apaisée de la mort à la différence des terrifiantes vanités du XVIe siècle qui montraient des cadavres rongés par les vers ou déjà en décomposition. On apprécie une belle unité vocale, très raffinée avec notamment de superbes basses en faux bourdon sur la fin des phrases. Les solistes d'une belle clarté introduisent chaque verset selon la psalmodie liturgique et dialoguent avec le petit chœur à six de la , qui alterne selon les versets avec le grand chœur à douze de l'Almodi.

La tradition a enrichi le texte liturgique du propre de la messe de pages qui augmentent l'expression dramatique comme le motet «Taedet animam meam» (Mon âme est dégoûtée de la vie…), qui introduit le requiem ou la superbe lamentation «Versa est in luctum» (ma harpe n'est plus qu'un instrument de deuil et mon chalumeau ne peut rendre que des sons plaintifs), précédé par un émouvant solo de cornetto, entre le «Lux aeterna» de la communion et le répons «Libera me».

Les ritournelles orchestrales rythmées par le tambour adoucissent la sévérité des amples polyphonies, dont l'effectif relativement étoffé augmente la densité. Ce choix interprétatif crée de saisissants effets dramatiques avec des tutti et crescendo de toute beauté, notamment le «pleni sunt caeli et terra» du Benedictus, sans oublier le terrifiant roulement de tambour pour le tremblement de terre du jugement ouvrant le fameux «Dies illa, dies irae» (Jour de colère, jour de malheurs)…

Avec une telle qualité d'interprétation, notre approche de cette œuvre célèbre est renouvelée. Le souvenir de la belle version (a capella) de l'Escolania et la capella de Musica de Montserrat, dirigée par Don Ireneu Segarra (Harmonia Mundi 1977) est dépassé, mais plusieurs chanteurs de la étaient alors de jeunes choristes dans le chœur de la célèbre abbaye catalane. Ces mêmes interprètes ont enregistré cette œuvre magnifique lors d'un concert à Valence en novembre 2005 (CDM 0615 Licanus).

Crédit photographique : © Alain Huc de Vaubert

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