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Barbe Bleue d’Offenbach : du bon et du moins bon !

Des différentes formes de la musique lyrique, l'opérette est certainement la plus difficile à monter. De plus, quand elle est signée , la difficulté en est augmentée.

Avec le plus parisien des compositeurs allemands, l'humour et l'ironie sont les ingrédients de base de pratiquement toute son œuvre. Barbe Bleue, en particulier, est une charge sur la société où se mélangent le terroir campagnard, les mariages forcés et naturellement ratés, les séducteurs invétérés et les amours romantiques. Dans leurs dialogues, les librettistes s'en sont donné à cœur joie dans la recherche de jeux de mots, de quiproquos, de situations comiques, en calquant leurs dialogues sur le théâtre boulevardier de l'époque. Dans ce feu d'artifice de réparties, l'esprit de comédie des opéras bouffe de fait appel à des chanteurs rompus à ce genre d'exercice, avec la gouaille et l'entregent des meneurs de revues parisiennes, c'est-à-dire possédant une voix dont l'expressivité théâtrale prime sur l'élémentaire beauté du chant. C'est dire que ces œuvres, sous leurs aspects de musique légère, ne souffrent pas l'amateurisme.

La production fribourgeoise s'appuie malheureusement sur une distribution trop inégale pour y trouver une totale satisfaction. Malgré leur jeunesse et leur manque d'expérience du monde théâtral, le travail de mise en scène de Marie Ballet et de Jean Bellorini s'avère des plus prometteurs. Fourmillant de bonnes idées et racontant l'intrigue avec clarté, ils offrent un spectacle néanmoins très vivant. Dommage toutefois que ces jeunes metteurs en scène n'ont pas poussé plus avant la caricature et la personnalisation de leurs personnages. Ainsi, Boulotte mange alors qu'on faudrait qu'elle «bouffe» pour qu'on ne regrette pas qu'elle soit sacrifiée à Barbe-Bleue. Avec la pâleur scénique de l'Hermia de cette production, il aurait été certainement plus judicieux d'en faire une poupée Barbie. De même, l'inexpérience des réalisateurs fait disparaître le beau décor du premier tableau et son univers campagnard pour faire place à des fonds de scène unis sans signification ni beauté !

Dans cette production, certains chanteurs souffrent aussi d'une inexpérience manifeste freinant l'expression de l'œuvre. Ainsi, avec sa voix manquant de puissance, sa diction incompréhensible, (La Princesse Hermia), piètre comédienne, n'est pas à la hauteur du rôle. Tout comme la soprano Eva Fiechter (Boulotte), dont la voix (pourtant jolie) ne se fait entendre que dans quelques notes aigues, est théâtralement loin de convaincre. Seuls les chanteurs rompus au métier de la scène s'en sortent théâtralement. Si le Barbe-Bleue (le ténor ) manie mieux sa canne que son chant, le Prince Oscar (la basse ) joue un oiseau de mauvaise augure trop triste pour cette comédie. Parmi les artistes les plus crédibles, le ténor (Le Prince Saphir) chante et joue superbement son personnage cachant mal ses origines princières sous les traits d'un jeune paysan. Un artiste à suivre. Bon acteur, il est à l'aise dans cette comédie, tout comme (Popolani), dont les progrès et l'émission vocale sont sensiblement meilleures que lors de sa prestation dans Le Pauvre Matelot de à Fribourg en 2006.

L'heureuse transition théâtrale s'inscrit avec les prestations hilarantes (et parfaitement dans l'esprit de la farce d'Offenbach) du Roi Bobèche () et de la Reine Clémentine (). Le premier, acteur à l'extrême justesse du geste, est un régal alors que le comique débordant de la seconde fait mouche. Si n'a pas les qualités vocales d'un chanteur d'opéra, il campe un roi stupide si criant de vérité que son manque de vocalité enrichit le personnage. Mégère insupportable, la Reine Clémentine de la soprano est un régal de détestation de son roi de mari. Ce couple formidable de grotesque et de comédie habite si heureusement le plateau de Fribourg qu'il fait regretter que le reste la distribution ait été choisi plus en fonction de la vocalité que des capacités à s'intégrer dans cette comédie musicale.

A noter la parfaite préparation du chœur de l'Opéra de Fribourg dont on remarque la belle prestation des cinq femmes de Barbe-Bleue. Dans la fosse, le tout nouvel Orchestre de Chambre de Fribourg s'avère bien en place sous la baguette inspirée de son chef et fondateur,

Offrir à de jeunes chanteurs l'occasion de se montrer sur scène fait partie de la noble tâche que se donne l'Opéra de Fribourg. Cette production fribourgeoise confirme que le bon sens voudrait qu'on donne les rôles principaux à de plus grands professionnels au lieu qu'à de trop jeunes chanteurs. Ils pourraient ainsi s'améliorer à leur contact sans risquer, avec des premiers rôles, d'affronter une inévitable critique susceptible de les déstabiliser.

Crédit photographique : (La Princesse Hermia), (Le Prince Saphir) ; (La Reine Clémentine), (Le Roi Bobèche) © Opéra de Fribourg

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