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Les Impromptus d’Alexei Lubimov

, né à Moscou en 1944, est un pianiste complet dont le parcours musical atypique témoigne d'une ouverture exceptionnelle. Élève de Heinrich Neuhaus, il travaille le répertoire traditionnel et s'intéresse à l'avant-garde russe (Denisov, Schnittke, Volonsky). Il sera pour cela et quelques années plus tard « puni » par le régime soviétique et interdit de voyage à l'étranger. Il se tourne alors vers le clavecin, parcourant l'URSS avec le Moscow Baroque quartet. Ce n'est qu'après la chute du mur que la Russie voit arriver ses premiers pianofortes, Alekseï Lioubimov part quant à lui pour la France et commence une nouvelle carrière.

Il s'en est passé du temps depuis l'époque où Paul Badura-Skoda, pionnier majestueux de la renaissance du pianoforte, affirmait que le recours aux instruments anciens serait un jour considéré comme essentiel. Dès les années 90, le pianiste revenait sur sa position, privilégiant le choix de l'interprète et accordant plus d'importance à « l'esprit » qu'à l'instrument. Le pianoforte a aujourd'hui pris toute sa place dans l'interprétation. Des enregistrements sur différents piano d'époque sortent régulièrement et offrent au mélomane une écoute revisitée d'un vaste répertoire qui gagne aussi à être repositionné dans son contexte historique. Dans la multitude de l'offre, Beethoven et Schubert sont les compositeurs qui ont la préférence des pianistes devant Chopin, Mozart, C. P. E. Bach et Haydn. Choix non dénué de logique si l'on rapproche le caractère intimiste et introspectif des pièces des deux compositeurs de celui du pianoforte. Ce dernier abandonnant le lyrisme puissant du piano moderne pour offrir l'intimité de sa sonorité mais aussi une diversité plus grande dans les attaques.

Dans ce contexte, les Impromptus op. 90 et op. 142 de Schubert sont une source d'inspiration incontournable pour l'artiste qui désire les marquer de son empreinte. C'est ce qu'entreprend ici avec l'aide de deux pianofortes Matthias Müller 1810 et Joseph Shantz 1830, restaurés par Edwin Beunk. C'est après plusieurs années à la recherche du bon instrument et un ultime voyage aux Pays-Bas que le pianiste fait le choix de ces deux pianofortes. Vingt années seulement séparent la naissance de ces instruments, assez de temps cependant pour imaginer que le premier aurait pu accompagner les premières leçons du compositeur et le deuxième entamer une pièce funèbre en son hommage. Vingt années aussi pour commencer à ressentir la lente évolution d'une mécanique allant vers plus précision et de puissance sonore. C'est bien ce qu'on ressent à l'écoute enchaînée des deux séries de quatre Impromptus. Avec le Matthias Muller 1810, le pianiste imprime un tempo inhabituel, les attaques sont rudes et la dynamique étouffée, notamment dans le Second impromptu op. 90 qui met en relief toutes les difficultés de l'exercice. Il faut dès lors toute la virtuosité de l'artiste pour transformer l'épreuve en plaisir et replacer l'œuvre dans son cocon romantique. Avec le Joseph Shantz 1830, l'univers sonore change, la dynamique prend de l'ampleur, les phrases ont plus de liant avec des attaques mieux placées. On note toutefois la présence de résonances éparses et surprenantes qui troublent l'écoute sans altérer l'impression globale d'une plus grande réussite. On ne peut alors s'empêcher de penser que les Quatre impromptus op. 142 sont dans ce disque bien mieux servis que leurs petits frères. Outre cela, montre sans conteste ses grandes qualités de pianiste en arrivant à captiver l'auditeur pour l'entraîner dans un univers typiquement schubertien, intimiste et romantique.

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