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Sidi Larbi Cherkaoui : Origine

Un chorégraphe, deux chanteuses plus un instrumentiste, donc trois musiciens ; quatre danseurs, un fond de scène divisé en quatre écrans qui deviennent des pièces à vivre, un mannequin mortifère éclairé par instants : début d'un inventaire facile sur l'effectif et le décor !

Mais où l'on peut se perdre, c'est dans celui des images que nous offre la chorégraphie : les messages que véhiculent les emprunts assez subtils à différentes cultures et à différentes époques se succèdent à un train d'enfer. On a même parfois l'impression qu'à trop vouloir dire, on embrouille l'esprit du spectateur. Il est vrai aussi que ce foisonnement peut donner un sentiment de bouillonnement et d'enthousiasme.

Dès les premières séquences, on est happé par la beauté de la musique. Les deux voix féminines accompagnées d'une façon minimaliste s'épanchent avec une sensibilité et une sensualité qui donnent le ton d'ensemble du spectacle : le répertoire médiéval chrétien auquel appartiennent les pièces d'Hildegarde de Bingen et les vocalises enveloppantes de Rabiá al-'Andawiyya, mystique soufie du VIIIe siècle, nous disent clairement que l'approche sensible du monde équivaut à toutes les connaissances. L'élan de l'amour, surtout s'il conduit vers Dieu, mais l'art aussi, sont bien ce que l'homme réalise de plus beau.

Cette musique dépaysante nous fait voyager dans un temps poétique qui est en accord avec la chorégraphie, mais pas toujours. aime aussi à brouiller les cartes et il insiste ainsi sur le fait que rien n'est tout blanc ou tout noir. Cela le conduit souvent à décrire des évolutions d'un point vers son contraire : joue gracieusement avec un ballon-terre, comme Charlie Chaplin dans Le Dictateur, mais il finit écrasé par le poids de cette sphère. Parfois même des mutations imprévues peuvent se produire : ainsi la flamboyante transmet littéralement son personnage de feu à .

Le chiffre quatre, symbolique dans beaucoup de civilisations, est fortement présent dès le début du spectacle : ces quatre danseurs venus des quatre coins du monde dessinent dans un très bel ensemble soutenu par la beauté poignante de la musique les quatre points cardinaux d'une manière plastique et énergique ; rapidement on comprend qu'ils représentent aussi les quatre éléments. Pourtant les images se superposent parfois d'une façon trouble : l'américaine Daisy Philipps, l'ouest, le nouveau monde, n'est-elle pas aussi une danseuse orientale et ne symbolise-t-elle pas en même temps l'eau sinueuse et insaisissable ? Au spectateur de choisir, mais chacun appartient finalement au même monde.

Le chorégraphe ne navigue pas que dans des symboles éternels : la vie quotidienne de l'homme et de la femme du XXIe siècle est décrite avec beaucoup d'humour. Une chorégraphie subtile transforme en chaussure à talon, en savon, en peignoir qui habille sa partenaire féminine. On peut apprécier toute la légèreté de l'évocation, poétique plus que burlesque. Pourtant le monde actuel reste pesant, avec la solitude individuelle et les ombres néfastes qui nous menacent. La beauté du geste chorégraphique sauve le propos du misérabilisme : quoi de plus émouvant que le passage où danse avec fluidité avec ses chaînes et ses deux partenaires féminines ?

Dans Myth déjà, prétendait que chacun d'entre nous possède son ombre, son double, son essence peut-être. Dans Origine, il joue avec elles en les projetant sur les écrans du fond de scène : n'oublions pas qu'il existe un théâtre d'ombres, et la vie n'est-elle pas un songe ?

Crédit photographique : © Kœn Broos

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