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Jean-Christophe Maillot sublime La Belle

Depuis sa création en 2001, La Belle a été dansé dans le monde entier. France 3 et Arte l'ont montré, un dvd de ce même ballet a été édité. Vu et revu donc. Pourtant le spectacle présenté sur la scène du Grand Théâtre de Genève opère une fascination irrésistible.

L'impossible vieillissement d'une œuvre artistique d'exception, probablement. Parce qu'il faut bien parler de cela quand on s'arrête sur la chorégraphie de . Dans le programme de la soirée Philippe Verrièle affirme que «la danse ne raconte strictement rien, pas plus chez que chez un autre…». Et pourtant, dans son ballet La Belle, si le chorégraphe se penche sur le conte de Perrault, ce n'est pas pour nous rappeler les péripéties de la Belle au Bois Dormant mais pour raconter l'envie de la maternité et la douleur, la jalousie qu'elle engendre chez qui en est privé, puis faire vivre la victoire de l'amour sur la méchanceté et la cruauté.

La chorégraphie magnifique d'inventivité, d'humour et de précision de sublime ses danseurs. Dans un ingénieux décor (Ernest Pignon-Ernest) de panneaux mouvants, des lumières (Dominique Brillot) parfaites d'intelligence et de goût, des costumes (Philippe Guillotel) superbes et colorés (Ah, cet imaginatif et imposant manteau du Roi !) tout concourre à parer le spectacle de grandiose. Un véritable opéra où il ne manquerait que les mots si la poésie qui se dégage de ces danses n'était si éloquente. Une éloquence reliée par une troupe ne ménageant rien de son énergie pour présenter un spectacle total. Du sérieux de leur engagement émerge le plaisir de danser. Danser pour émouvoir. Danser pour danser. Danser pour donner à rêver. Danser pour donner à imaginer. Chacun est l'artisan conscient de la perfection recherchée. Ce qui touche dans la chorégraphie de Jean-Christophe Maillot c'est la capacité qu'il a de montrer le meilleur de chacun sans qu'il ne paraisse être dépassé par le travail qu'on lui demande. En parfaits techniciens de la danse, la troupe des ballets de Monte Carlo régale.

Au premier rang desquels la haute stature de (La Reine Mère/Carabosse) impose un personnage terrifiant. La saccade soudaine de ses gestes alternant avec les appels gracieux de ses mains gigantesques dépeignent toute la violence et l'hypocrisie du personnage ne supportant pas le bonheur des autres. Un bonheur personnifié par l'apparition magique d'une bulle transparente habitée de (La Belle). Vêtue de l'innocence d'une robe à la blancheur virginale dont elle sortira, telle Vénus au bain, dans une semi-nudité envoûtante. Quelle danseuse, quelle grâce, quelle incroyable aisance à être lancée, reprise, élevée sans que ses mouvements ne soient cassés par une quelconque raideur. Elle glisse, elle vole, elle surnage l'espace. A ses côtés, le virevoltant (Le Prince) occupe la scène non seulement au travers d'une danse parfaitement mesurée mais encore par des attitudes profondément sincères de son personnage. Un couple merveilleux dont la danse, collés bouche à bouche dans un enlacement amoureux sans fin, est un moment d'extrême émotion, un exploit bouleversant. Toute de charme et de finesse, (La Fée Lilas) dansant dans la grâce et la volupté s'enroule autour des personnages pour réinstaller la sérénité temporairement perdue.

Comme à son habitude, le public genevois, souvent froid de contact, attend de voir pour juger. Si à l'entracte, les applaudissements étaient généreux mais contenus, au tombé de rideau final, la musique de Tchaïkovski n'était pas encore éteinte que les ovations ont éclaté comme d'un seul homme.

Crédit photographique : (Le Prince), (La Belle) ; (La Reine Mère/Carabosse) © Marie-Laure Briane

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