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L’Enfant et les Sortilèges à Lausanne, un bijou d’inventivité

Avec cette assemblée piaillante de gamins excités par l'idée d'assister à un spectacle conçu pour eux, on se dit qu'il va être difficile d'entendre dans les conditions quasi religieuses d'une salle de concerts classiques ou d'opéra.

Mais comme par miracle, sitôt les lumières de la salle s'estompent et que le «ah !» d'impatience des petites têtes blondes retentit, le silence gagne les sièges et pendant près d'une heure d'horloge, la place est à la seule musique et aux poétiques scènes de cet opéra transformé en petit bijou grâce d'une part, à une relecture musicale subtile composée par Didier Puntos et, d'autre part, à une merveilleuse direction scénique de .

De la partition originale pour grand orchestre et chœurs, le pianiste-compositeur français réussit le tour de force d'offrir une adaptation pour trois instruments parfaitement intégré dans l'esprit de la musique de Ravel comme à celui de cette fable enfantine. La partition ravélienne retrouve ses contrastes orchestraux dans ceux d'un violoncelle (Pascal Michel expressif) jouant tantôt dans le registre suraigu des harmoniques de ses cordes, tantôt dans celui de sa tessiture normale ou par les martèlements du piano à quatre mains (Marie-Cécile Bertheau et Didier Puntos percussifs et lyriques à souhait) pour s'envoler soudain dans l'univers aérien de la flûte (José-).

Artisan merveilleux de ce rêve éveillé, le metteur en scène signe un spectacle poétique plein de drôlerie. Dirigeant ses personnages avec à propos, il montre une scène habitée d'un univers à la fois déjanté et inventif tout en racontant avec précision et grande clarté une intrigue imagée de rêves et de cauchemars d'enfants. Ses personnages colorés peuplent le monde du «vilain» petit garçon qui n'a pas voulu faire ses devoirs. Une fantasmagorie métaphorique et un charivari d'objets soudain s'animent. L'horloge traverse la scène en courant, deux fauteuils discourent. La tasse et la théière prennent tout à coup la parole et chantent alors que la table sur laquelle elles étaient s'élève et se met à danser. Maniant l'humour avec finesse, construit un spectacle qui, malgré la présence d'un public d'enfants, ne sombre pas dans la caricature guignolesque. Puisant ses personnages dans une imagerie qu'on verrait empruntée au film Le Magicien d'Oz de Victor Fleming, il explore cet univers en le parsemant de scènes au comique irrésistible. Ainsi ces chats se miaulant leur amour. A la conclusion de leurs ébats, la chatte quitte son «amant» en lui envoyant une œillade hollywoodienne sur le pas de la porte alors que le chat savoure son «exploit» en fumant une cigarette. Tout comme le ballet excité de L'Arithmétique où les acteurs lancent leurs feuilles de calcul dans la foule des spectateurs.

Si le plateau n'offre pas une brochette de chanteurs exceptionnels, leur présence scénique supplée à la relative déception vocale. A noter cependant, la très bonne prestation de Benoit Capt (Le Fauteuil, l'Arbre) dont on apprécie la qualité de diction avec laquelle il soigne son chant et celle de la soprano Solenn' Lavanant-Linke (L'Enfant) s'engageant sans compter dans l'expressivité de son personnage.

L'excellence de cette production, le soin apporté à sa réalisation laissent augurer qu'elle ne disparaîtra pas dans une boîte à oublis après les quelques représentations lausannoises mais qu'elle pourra revivre dans d'autres théâtres.

Crédit photographique : Solenn' Lavanant-Linke, l'Enfant ; , l'Arithmétique © Marc Vanappelghem

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