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Mendelssohn entre ciel et terre

Au commencement était Moses Mendelssohn, premier émancipateur des Juifs allemands dont Félix descend directement : c’est son grand-père.

Philippe Olivier, musicologue spécialiste principalement dix-neuvièmiste – on se souvient de son très utile guide wagnérien – rappelle l’historique de l’antisémitisme à l’égard de Mendelssohn (entre autres) tant à son époque que plus tard. Il travaille en fait sur quatre générations. Ainsi, dans les années 1933, «Félix, figure représentative du multiculturalisme et de l’émancipation des Juifs, fut malmené.» L’auteur préconise que les droits touchant à la musique de Mendelssohn soient conservés et reversés pour la revalorisation des œuvres de compositeurs ayant «été victimes de la barbarie hitlérienne». Car son petit essai traite vraiment du problème du judaïsme à travers non seulement un compositeur, mais une famille entière. Le tour de force de Philippe Olivier est de savoir allier actualité et histoire, ce qui rend la lecture de son ouvrage – très documenté et argumenté – très plaisante.

Cela ne l’empêche évidemment pas de rappeler la formation musicale de Mendelssohn, enfant prodige du piano qui prendra les rennes du conservatoire dans l’enseignement de cet instrument. Il compose des œuvres pour orgue, choral et sonates, phénomène curieux dans la mesure où l’église à laquelle il appartient à l’origine, donc les synagogues, ne comportent pas d’orgue. En même temps, on en est au stade de l’assimilation. La situation des Juifs et les différents problèmes qu’ils rencontrent sont clairement évoqués. Mendelssohn est ensuite présenté comme un jeune chef l’orchestre très prometteur qui n’hésite pas à s’imposer au sein d’orchestres qui sont financés par des princes, et donc à fréquenter des Chrétiens. Philippe Olivier compare l’activité de chef d’orchestre avec celle des rabbins dans la manière d’être un médiateur entre les hommes et ce qu’ils veulent transmettre : La musique ou la parole de Dieu. Il analyse également la résurrection de la partition de la Passion selon Saint Mathieu de Bach comme un «exploit» non seulement «musical» mais aussi «culturel». En effet, il y a quelques pics antisémites contre lesquels Mendelssohn passe outre.

Autrement, à Leipzig, Mendelssohn peut faire interpréter des symphonies de Beethoven, de Schumann, et également les siennes. «Il est à la fois compositeur et interprète» précise Philippe Olivier. Ses relations avec Wagner sont assez tendues dès le début, sachant qu’il refuse de faire interpréter l’une de ses symphonies de jeunesse qu’il juge vide de sens. Wagner sera de plus en plus antisémite du coup.

Mais le plus important d’un point de vue musicologique réside dans l’analyse des trois oratorios de Mendelssohn ainsi que leur signification et leur devenir, tant historique que discographique dans une moindre mesure. Ainsi, le chapitre consacré à «Elias ou l’ancien Testament» pose la question de la place de la terre Sainte pour Félix. ? C’était «à la fois le foyer d’élection de ses lointains ancêtres, le théâtre de l’Ancien Testament et le lieu de la Nouvelle Alliance, représentée par le christianisme.» De même que sa symphonie Réformation (n°5), Elias fut considéré comme une arme idéologique contre les Catholiques, de mêmes que certains drames wagnériens. Tout ceci à l’époque de Bismarck et même après. Un parallèle entre l’histoire familiale et la parole biblique est possible, Moses Mendelssohn ayant vraisemblablement lui-même ressenti la douleur d’Elias.

Dans Christus ou la nouvelle alliance, Philippe Olivier explique que cette œuvre inachevée empreinte de l’influence de Bach, comporte un livret qui souligne une continuité entre le judaïsme et le christianisme. Dans le chapitre Paulus ou la conversion, plusieurs lectures possibles de cette œuvre sont proposées, lectures liées tant à l’histoire familiale qu’aux données artistiques et religieuses. Plusieurs parents de Mendelssohn se convertissent, pas seulement au protestantisme, mais également au catholicisme ce qui n’est pas du goût de tous…

Au total, un réflexion riche tant pour aborder le passé que pour interroger l’avenir sur des idées religieuses qui dépassent le cadre purement musicologique de Mendelssohn, que Philippe Olivier montre sous un jour différent et original, apportant ainsi une pierre importante à l’édifice bibliographique français, dominé par Brigitte François-Sappey (Fayard)…

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