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Classique et exotique Roméo et Juliette à Manaus

Au sortir de la forêt amazonienne, après avoir navigué sur les fleuves Amazone et Rio Negro, apparaît la ville de Manaus et son opéra Teatro Amazonas jadis – au temps de l'exploitation du caoutchouc – célèbre en Amérique du Sud.

Sa splendeur devenue un souvenir mélancolique a fait cependant place à une activité fort honorable. Le beau bâtiment de taille modeste (500 places) mais richement décoré, de style italien Renaissance, fut dessiné par l'architecte italien Celestial Sacardium et construit, non sans difficulté, sur une longue période, entre 1885 et 1895, et inauguré le 31 décembre 1896. La première représentation se déroula peu après (7 janvier 1897) avec un opéra italien, La Gioconda, d'Amilcare Ponchielli. Les lieux attirent non seulement une certaine élite sociale mais également, à l'évidence, un public modeste pas encore discipliné, bruyant et visiblement peu impressionné. Mais qu'importe ! Dans le cadre du Festival d'Opéra d'Amazonie on donnait ce 29 avril 2010 Roméo et Juliette de d'après William Shakespeare dont la création mondiale se déroula à Paris, au Théâtre-Lyrique du Châtelet, le 27 avril 1867. Le spectacle très honnêtement structuré, en dépit d'une diction (française) très approximative (les sous-titres en portugais se sont à l'occasion révélés très utiles !), nous a permis de découvrir une très bonne Juliette incarnée par Carmen Monarcha, frêle mais volontaire, aussi à l'aise dans le chant que dans les mouvements scéniques et un Roméo () entreprenant et vaillant comme il se doit. Rosendo Flores dans le rôle de Frère Laurent campe fort à propos la duplicité et l'ambivalence confiées à son personnage. Les chœurs, homogènes, servent mieux l'œuvre de Gounod que la chorégraphie, péchant par une évidente monotonie aggravée par un certain manque d'imagination et de créativité (scène du bal). Néanmoins, le duo du balcon, la bénédiction nuptiale, la chanson du page et le duo de l'Alouette constituent les points forts de cette production.

Dans la fosse l'Orchestre philharmonique expérimental d'Amazonie étonne agréablement par son engagement, sa flamme et sa précision, sans doute grâce à la direction efficace et souple à la fois du chef brésilien . Artiste très réputé et populaire, né à Sao Paulo, Malheiro, après une solide formation, a travaillé avec Leonard Bernstein (Rome), Ferdinand Leitner (Sienne) et Carlo Maria Giulini (Milan) et a dirigé de nombreux orchestres nationaux avec lesquels il défend un vaste répertoire (plus de 35 opéras) et d'innombrables pièces orchestrales (Sibelius, Nunes Garcia, Beethoven, Mozart, Prokofiev, Chostakovitch sans oublier les chefs-d'œuvre de Richard Wagner…). Deux harpes positionnées dans une loge défendent leur partie fournie avec dextérité. Un mot des décors très fonctionnels : murs plats surmontés de reliefs carrés, de couleur majoritairement sombre, magnifiés par un jeu de lumière aussi discret qu'efficace. Le gris domine au niveau des costumes (hormis les effets lumineux dont se pare Juliette) et ainsi confère une ambiance recluse et triste. L'ensemble de la mise en scène, assez classique et en rien iconoclaste, en tout cas très mobile et mouvante, retient néanmoins l'attention et l'intérêt des auditeurs. On regrettera la longueur et la banalité des scènes de bagarres entre Capulet et Montaigu de même que la scène d'amour où Roméo, comble de l'inélégance, ne porte qu'un slip blanc à poche !

Nous avons assisté à une soirée classique et exotique à la fois, chaleureuse et rustre, de bon niveau mais dispensée de superlatifs, située entre le souvenir d'une Europe lointaine et l'assurance déformée d'une société en mutation. Il est certain que tous les protagonistes concernés ont associé leur efforts et leur talent pour servir ce Roméo et Juliette, probablement une des œuvres les plus remarquables du répertoire lyrique français du 19e siècle.

Crédit photographique : © Artematriz; Opéra de Manaus © DR

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