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Le meilleur Gergiev pour le meilleur Prokofiev de Roméo et Juliette

Cet enregistrement intégral de Roméo et Juliette de Prokofiev a été réalisé à Londres peu de temps avant le début de la série de concerts consacrés aux concertos et symphonies de Prokofiev que et le donnèrent en tournée parisienne en octobre 2008 et mai 2009.

Certes ni le ballet intégral, ni les suites pour orchestre n'étaient au programme de ces concerts, mais quelques extraits nous étaient offerts en bis dont une très impressionnante Mort de Tybalt, nous faisant alors regretter de ne pas en entendre plus. C'est chose réparée avec ce double SACD qui montre le chef de théâtre qu'est Gergiev parfaitement à l'aise avec cette musique dont il est peut-être un des meilleurs serviteurs actuels.

Car à l'évidence, la conception de Gergiev est avant tout dramatique et théâtrale, au meilleur sens du terme. L'écoute aveugle, c'est-à-dire sans le support visuel du ballet (les londoniens n'eurent droit qu'à la version de concert reprise sur ce disque), mais avec l'aide de l'exemplaire livret décrivant les 52 numéros des trois actes de l'œuvre, permet de suivre parfaitement l'action, «on s'y croirait» pourrait-on même dire tant le réalisme des diverses scènes est bien restitué. Remarquable par ses choix de tempi qui s'imposent avec évidence, Gergiev joue à plein des ressources de son orchestre, tant en dynamique, impressionnante, qu'en rigueur et précision autant rythmique que d'ensemble, sans oublier des jeux de couleurs et de timbres adaptés à l'expression choisie.

Au fil des numéros, on se rend toutefois compte que le chef est plus immédiatement convaincants dans les épisodes sardoniques, batailleurs, violents que dans le suave et poétique. Les consécutifs n°16 Madrigal avec son thème de l'Amour et n°17 Tybalt reconnait Roméo plus dramatique, illustrent assez bien cette dualité avec un Gergiev plus à l'aise dans le second. De même les épisodes décrivant la Juliette d'avant le drame (à commencer par le n°10 Juliette jeune fille) pourrait être plus légers et subtils, on sent là un surcroit de dramatisation à la russe qui doit sans doute faire partie de l'ADN du chef. Cela ne l'empêchera pas de réussir joliment la Danse d'amour (n°21). Mais quand ce dramatisme tombe à pic, la réalisation de Gergiev et de son LSO impressionne presqu'à tout coup. Comme lors des terrifiants accords fortissimo du n°7 Le Prince prononce son arrêt qui déclencheront le drame à venir, et bien sûr toutes les nombreuses scènes de disputes, duels et morts violentes qui jalonnent cette célèbre histoire.

Celui qui voudra faire la fine bouche pourra trouver ici où là quelques détails qui aurait pu être plus complètement convaincants, comme par exemple un léger excès de legato dans la Danse des Chevaliers (n°13), mais c'est bien là du «détail» et il faudrait être difficile pour ne pas reconnaitre la réussite d'ensemble de cet album, très recommandable, montrant un Gergiev bien plus inspiré que dans sa récente Symphonie n°4 de Mahler avec le même LSO, mais c'est une autre histoire …

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