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Denis Pascal à Tautavel

Si la gare de Perpignan est «le centre du monde» (dixit Dalí), à quelques lieues de là, Tautavel pourrait bien en être «l'origine», recelant dans ses grottes millénaires les ossements de l'»homo erectus», l'un des premiers européens à avoir foulé le sol roussillonnais il y a 4500000 ans de cela!

Renommé (par son musée de la préhistoire) et touristique (ses falaises rocheuses sont bien connues des grimpeurs), ce petit village de 900 habitants s'est doté en l'an 2000 d'une des plus belles salles du département, un Palais des Congrès de 600 places abritant chaque année à la même date un festival des plus convivial accompagné des meilleurs cépages de la région. Initié par les frères Capuçon qui ont su donné d'emblée à la manifestation musicale son envergure internationale, «Tautavel en musique» est désormais placé sous la présidence d'Yves-Didier Gotteland et la responsabilité artistique de Diego Tosi, violon solo de l'Ensemble Intercontemporain et néanmoins familier de la terre catalane.

Après les solistes de l'Intercontemporain (Brahms, Ligeti) et le trio Wanderer (Clara et Robert Schumann), c'est , éminent pianiste et pédagogue qui venait célébrer Chopin lors de la troisième soirée de ce festival, dans un programme intelligemment conçu pour ravir nos oreilles et soutenir notre attention. Chopin n'aimait pas, ne comprenait pas la musique de Schumann. Les excès de l'un rebutaient la pudeur et la retenue de l'autre : des qualités que l'interprète nous faisait subtilement ressentir à la faveur d'un jeu sobre autant qu'intérieur où la recherche du timbre et le mystère dans le timbre semblent toujours l'emporter.

débutait le concert mezza voce avec ces «danses de l'âme» que sont les Mazurkas – quatre parmi les plus belles mais elles sont toutes divines ! – qui nous mettaient à l'écoute d'une sonorité raffinée et toute en nuance. Suivait un premier Nocturne, l'ample et singulier opus 48 n°1 chanté avec beaucoup de naturel et d'élégance dans le son. Plus mélancolique, le Nocturne op. 27 n°2 était baigné d'une aura poétique délicate sous les doigts de l'interprète qui terminait cette premier partie de concert par la dramatique Sonate «funèbre» jouée avec une souveraine maîtrise du clavier dans un grand respect du texte et une belle lisibilité formelle. Ici encore c'est le timbre qui creuse l'expressivité dans la marche funèbre évitant toute dérive sentimentale.

La splendide Ballade n°4 débutait la seconde partie du concert. Dans cette œuvre incontournable de l'âme romantique, privilégiait davantage la richesse polyphonique et la ligne directrice au détriment peut-être de la fougue narrative qui anime cette forme rhapsodique. Après la somptueuse Polonaise en ut mineur, notre pianiste avait choisi de terminer avec panache cet itinéraire romantique par l'immanquable Polonaise fantaisie où la brillance du jeu le disputait à l'envergure du geste.

Les deux bis qu'il offrait au public – une Allemande de Rameau et Reflets dans l'eau de Debussy – pointaient les constantes d'une certaine lignée française – transparence de l'écriture, mystère du clair-obscur – au sein de laquelle Denis Pascal semble bien inscrire l'art de Chopin.

Crédit photographique : © Philippe Mastas

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