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Musikfestpiele Saar, de la Sicile à la Suisse

Depuis quatre décennies, la Radio Sarroise organise un festival annuel de musique contemporaine où est passée la fine fleur des compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle. Organisée autour du week-end de l'Ascension, le festival 2010 était consacré à trois compositeurs majeurs, l'un sicilien, les deux autres bernois et amis.

, qui n'était pas présent, était au cœur du premier des deux concerts d'orchestre. L'unique création du festival, commandée à un jeune compositeur passionné de tennis, a beau être habilement écrite et soigneusement préparée par l'orchestre, elle est trop prévisible dans sa progression dramatique pour être plus qu'un aimable prélude aux deux œuvres nocturnes de Sciarrino. Le travail de Sciarrino a une affinité naturelle avec le monde nocturne, où le moindre bruit devient un événement pour l'auditeur parce qu'il est le seul lien avec des réalités insaississables autrement. C'est ce qui, au concert, fait la force particulière de cette musique dont on pourrait croire, à tort, que son caractère intime se perdrait dans l'espace d'une salle de concert symphonique.

Réélaboration de fragments du concerto pour violon de Mendelssohn, la première œuvre de Sciarrino appelle en seconde partie l'exécution de ce concerto avec la même soliste, , certainement aujourd'hui la violoniste la plus engagée au service de la musique contemporaine. Engagée et brillante chez Sciarrino, elle ne saurait être comparée aux plus grands violonistes chez Mendelssohn en raison d'une sonorité qui pourrait être plus riche ; l'intérêt de son interprétation tient alors autant dans de nombreux détails inattendus que dans son refus de l'effet et de l'alanguissement romantique.

Le reste de ces concerts était consacré à et à , qui dirigeait le second des concerts symphoniques et jouait l'une de ses œuvres de chambre. De Holliger, on retiendra ici surtout deux cycles de Lieder, l'un accompagné du seul cor naturel et jouant sur les sonorités particulières du dialecte bernois (Induuchlen), l'autre, remarquablement chanté par et accompagné par un grand orchestre, sur des poèmes crépusculaires de Georg Trakl. L'écriture vocale y est à la fois très inventive (notamment pour le contre-ténor Kai Wessel) et respectueuse des possibilités des chanteurs, tandis que l'accompagnement orchestral du second cycle dessine des paysages à la fois nocturnes et lumineux d'une poignante intensité.

Les œuvres de ont plus de difficulté à soutenir l'attention. Seule la dernière œuvre présentée, L'âme doit descendre de sa monture…, composée pour la voix de Kai Wessel, parvient pleinement à convaincre : le beau poème de Mahmoud Darwisch, chanté en allemand et en arabe, évite les clichés généreux des textes écrits par Huber pour ses Lamentations tout en préservant l'intégrité de son engagement aux côtés des déshérités du Tiers Monde.

Né d'une fusion entre deux vénérables orchestres symphoniques, la Deutsche Radio Philharmonie installée à Sarrebruck et Kaiserslautern est le fer de lance de ce festival méconnu. En l'absence de son directeur musical Christoph Poppen, c'est à deux chefs invités qu'a été confiée la direction des deux concerts symphoniques. Tito Ceccherini, spécialiste de Sciarrino dont il a enregistré les œuvres orchestrales (chez Col Legno et Kairos), peut compter sur un orchestre parfaitement à l'aise dans le répertoire contemporain, avec la même densité sonore et la même richesse de coloris que celles dont il fait preuve chez Mendelssohn. Cette même aisance se met également au service de , dont l'activité multiforme fait trop souvent oublier qu'il est aussi un grand chef d'orchestre (pas seulement pour la musique contemporaine).

Ce week-end festivalier rempli à ras-bord de musique n'est certainement pas comparable aux grands festivals consacrés à la création contemporaine, ne serait-ce qu'en raison de la faible part de créations qu'il comporte, mais un tel regard sur le répertoire des trente dernières années est peut-être plus utile encore pour aider le grand public à appréhender sans complexe une création musicale qui n'a rien à envier à celle des siècles passés.

Crédit photographique : © D. Vass

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