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Un nouvel orgue à Strasbourg à l’image de ceux que connut Bach

L'arrivée d'un nouvel orgue produit en général de nouveaux disques, c'est bien le cas ici, puisque déjà plusieurs CDs ont été gravés sur ce spécimen tout droit sorti des ateliers Thomas à Francorchamps en Belgique.

Reconstruit à neuf dans l'esprit des orgues de Thuringe que Bach a joués à la fin de sa vie, l'orgue du bouclier à Strasbourg représente le style d'orgue qui a suivi la génération de Gottfried Silbermann, avec les facteurs Zacharias Hildebrandt (celui qui construisit Naumburg) et surtout Heinrich Gottfried Trost (Waltershausen, Altenburg) qui représentent la facture d'orgue de l'Allemagne moyenne en ce milieu du XVIII° siècle. Ce sont des orgues de structure massive, tournés vers un son large et assis sur des basses très solides : Bach parle lui-même de «gravität» ce qui résume bien les choses. De nombreux jeux gambés font leur apparition, rappelant l'orchestre à cordes. L'esthétique de ces instruments s'achemine peu à peu vers un certain préromantisme, s'écartant résolument des styles précédents, en particulier de l'Allemagne du nord avec les orgues de Arp Schnitger.

Le résultat est à la hauteur de l'attente : sans détour, nous sommes immédiatement plongés dans les couleurs et masses sonores des orgues originaux, c'est dire si la reconstitution de la maison Thomas est une totale réussite.

Venons en au programme, ici idéalement choisi pour mettre en valeur les caractéristiques de ce style d'orgue : de Böhm (génération avant Bach) jusqu'à Brahms, en passant par Bach lui-même et ses élèves, nous pouvons suivre l'évolution de l'écriture, et l'adaptation de plus en plus évidente entre un texte et une palette sonore. Les registrations sont notées dans la pochette, ce qui permet de mieux comprendre encore l'alchimie sonore. Combien sommes-nous éloignés de cette esthétique dite néo-classique qui faisait autorité au milieu du XX° siècle et soi-disant idéale pour Bach et les siens. On appréhende combien Bach a pu sentir ce préromantisme naissant. Il se retrouve déjà peut-être un peu dans les grands préludes et fugue pour orgue écrits à Leipzig, à la fin de sa vie.

L'organiste nous propose une approche passionnante de ce répertoire, par un choix averti de registrations, ce qui est fondamental, car les auteurs allemands furent très parcimonieux en la matière. Son jeu est puissant, ses tempi toujours raisonnables afin de permettre une belle élocution, et laisser le temps à l'orgue de déployer ses larges sonorités. Les progressions dans les fugues sont bien amenées, les chorals déclamés avec souplesse. C'est le bel art de la rhétorique avec toute son agogique, comme on aime, ce disque : un modèle du genre. On est frappé vers la fin du récital par tous ces jeux de fonds épais, puissants, graves et pourtant si limpides, qui magnifient le choral de Brahms, se rapprochant déjà de nos Cavaillé-Coll.

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