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La petite renarde rusée, Janáček en version familiale

La petite renarde rusée, un opéra familial ? 

On pourrait le penser, vu la moyenne d'âge du public, venu en masse suivre cette histoire d'animaux aux prises avec le monde des humains et le monde tout court. Pourtant cette fable n'en est pas à un anthropomorphisme près, notamment du point de vue de la problématique de l'éveil sexuel et du rapport homme/ femme. Témoin la scène troublante ou le garde-chasse-baryton caresse le ventre de la renarde-soprano, geste on ne peut plus anodin, et dont nos amis à quatre pattes raffolent ; seulement, quand ce sont deux individus bien humains qui figurent ses personnages, la scène prend une tournure toute autre …

Faite d'une succession de saynètes, qui révèle l'origine feuilletonesque de l'œuvre, l'intrigue suit la vie, les déboires, les succès et finalement la mort d'une petite renarde bien attachante. Certaines scènes entre autres sont très réussies, comme celle du poulailler, qui finit bien évidemment par un carnage de volailles, ou le duo d'amour entre les deux jeunes renards, au deuxième acte. Le tout est entrecoupé de larges interludes orchestraux, que personne ne prend vraiment la peine d'écouter – et c'est bien dommage, puisque Janacek a visiblement confié un rôle à part entière à l'orchestre.

La mise en scène est habile, qui joue du kitsh des décors, très colorés et traversés de rails de chemin de fer (pour symboliser le déroulement des saisons ?). Le choix de couvrir la scène de tapis blancs pour figurer la neige hivernale au troisième acte s'avère ceci dit délicat pour les chanteurs, qui se prennent les pieds et manquent plus d'une fois de tomber !

Le plateau quant à lui est inégal. Parmi les personnages principaux, une évidence absolue : la petite renarde, c'est la soprano. On ne peut pas sortir de la salle sans penser que ce rôle va comme un gant à  : fluidité du débit, aisance, on décèle tour à tour une fragilité et une force adolescentes dans son interprétation, qui nous comble au plus haut point. Ajoutez à cela la plastique avantageuse puis la souplesse du mouvement, et vous obtenez l'équation gagnante de la soirée.

Que penser maintenant du garde-chasse tel qu'interprété par Jean-Philippe Laffont ? Très à l'aise sur scène, il chante de manière bougonne et ne convainc pas vraiment dans les scènes de camaraderie avinée avec l'instituteur ou le prêtre. Quand viennent les dernières répliques, que Janacek a voulues nostalgiques et teintées de philosophie, il les assène sur un ton à ce point pontifiant qu'on a l'impression d'avoir davantage affaire à un émule du Gurnemanz de Parsifal qu'à un garde-chasse de Bohème. Heureusement, la grenouille est là pour rattraper le coup et conclure sur une note humoristique.

Au final, et malgré cette erreur de casting, la reprise de cette œuvre attachante est une réussite. Nous sommes toutefois convaincus qu'elle mérite plusieurs auditions pour être appréciée à sa juste valeur. Quant au côté soi-disant familial de l'œuvre, il ne faudrait pas se tromper : une fable, au contraire d'un conte, n'a jamais été destinée qu'aux seuls enfants. Les adultes aussi sont visés.

Crédits photographiques : (la Renarde) ; Gregory Reinhart (le Prêtre), (l'Instituteur) & (le Garde-chasse) © Christian Leiber / Opéra national de Paris

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