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Le violoniste Georges-Emmanuel Schneider au disque

En une édition un peu tardive (2010) d'enregistrements publics de 2003, le label autrichien Classic Concert Records nous propose deux œuvres dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles ne sont pas si courantes au disque : le Concerto de chambre pour piano, violon et treize instruments à vent d', et le Polyptyque pour violon solo et deux petits orchestres à cordes de .

Et il faut savoir gré au violoniste suisse de sortir des sentiers battus en ne nous proposant pas une nième version de concertos de Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Sibelius ou Tchaïkovski, tous admirables qu'ils soient.

Mais ceci serait totalement stérile si ce remarquable musicien, élève du légendaire Ruggiero Ricci, ne s'était totalement investi dans ces concerts publics pour nous offrir des versions superlatives de ces partitions peu fréquentées. Or se montre égal à ce que nous avions entendu de lui lors du concert du 30 avril 2009 à Liège : aisance technique, jeu intériorisé à l'expression chaleureuse, sens profond de la musique de chambre dans son esprit le plus pur, tout cela est d'un naturel confondant chez cette belle et généreuse nature de musicien. N'attirant pas à lui toute la couverture, il est à l'écoute constamment attentive de ses partenaires qui d'ailleurs lui sont dignes, et c'est très certainement le secret de ces interprétations frémissantes et enthousiasmantes.

Le Concerto de chambre pour piano, violon et treize instruments à vent d', écrit en 1925 peu après Wozzeck, est dédié à Arnold Schœnberg pour ses 50 ans et est contemporain du Quintette pour instruments à vent de ce dernier. Dans ce Concerto de chambre, Berg utilise la symbolique du nombre trois pour célébrer la profonde amitié des trois musiciens de la Troisième École Viennoise, Schœnberg, Berg, Webern (la Deuxième, qui leur est erronément attribuée, étant celle de Bruckner, Mahler, Wolf, Schmidt…) : trois pôles instrumentaux, trois mouvements, trois types d'écriture, nombres de mesures multiples de trois dans chaque mouvement, et cryptogrammes musicaux du nom des trois musiciens. Y aurait-il également quelque allusion maçonnique ? Quoi qu'il en soit, au-delà de ces jeux chiffrés un peu systématiques, nous sommes en présence d'une œuvre post-romantique envoûtante, à la puissance et à l'expression chaleureuse auxquelles l'auditeur ne saurait se dérober.

Le Polyptyque pour violon solo et deux petits orchestres à cordes (1973) de , sa dernière œuvre, fut écrit à l'intention de et dédié à Yehudi Menuhin, l'Orchestre de Chambre de Zurich et son remarquable chef fondateur Edmond de Stoutz, qui en ont d'ailleurs réalisé un enregistrement pour EMI. «Fils de pasteur non révolté», selon les propos mêmes du compositeur, fut très souvent inspiré par le drame de la Passion qui vit naître l'un des plus purs chefs-d'œuvre du XXe siècle, son admirable oratorio Golgotha (1948). D'ampleur plus modeste quant à la forme, le Polyptyque n'en est pas moins admirable quant au fond, à l'intensité de la pensée et à la ferveur de l'émotion, ce qui est tout naturel de la part d'un musicien pétri de conviction religieuse vraie, sincère et profondément vécue. Séduit par le dodécaphonisme viennois, il en gardera une grande liberté d'écriture alliée à un langage très personnel, fort et sensible, ce qui n'est pas sans le rapprocher d', et ce que d'ailleurs les superbes interprètes de ce disque ont parfaitement compris.

Le Polyptyque est constitué d'une suite de six images sonores traduisant les émotions ressenties par le compositeur à la contemplation, à Sienne, de petits tableaux figurant les divers épisodes de la Passion : l'entrée du Christ à Jérusalem, l'adieu du Christ à ses disciples, l'angoisse et le désespoir de Judas, la solitude angoissée et la prière intense du Christ, l'horreur de la foule déchaînée et le chemin de la Croix, et enfin la Glorification.

Il n'est guère étonnant que , encouragé dans sa vocation dès son enfance par Edmond de Stoutz, ait repris le flambeau en mettant à son répertoire cette œuvre intense de Frank Martin, et en nous gratifiant d'une interprétation en tout point digne de son illustre confrère et prédécesseur Yehudi Menuhin. Et on souhaiterait par ailleurs que tout violoniste digne de ce nom ait autant d'éclectisme dans le choix des œuvres de son répertoire.

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