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Une brillante « Pujuilade »

est un jeune clarinettiste dont l'enthousiasme autant que les qualités transparaissent dans chacun de ses enregistrements, et qui sait s'entourer qui plus est de comparses à la hauteur. Son dernier opus « Mélismes » sous-tend un propos de nature politique ; c'est à dire que le jeune musicien, formé à l'école classique autant qu'au jazz et aux musiques actuelles, entend nous montrer que les frontières entre styles et esthétiques sont poreuses. Soit, même si l'on remarquera que cette idée a déjà été porté par beaucoup d'épaules, tant de compositeurs que d'interprètes, à tel point qu'elle commence à faire son chemin, même parmi les plus récalcitrants. On se demande dès lors si avait vraiment besoin de ce type de caution intellectuelle pour justifier son programme, quand « Mélismes » nous apparaît avant tout comme une séance de musique entre amis talentueux, au cours de laquelle on aurait laissé traîner des micros. Il n'en est rien bien sûr, mais c'est ainsi que nous recevons cet enregistrement : un mélange de spontanéité, de fraîcheur, avec ses qualités et ses défauts.

Notons tout de suite que, pour talentueux qu'il soit, Pujuila n'est pas autant à l'aise dans tous les styles qu'il aborde. On s'étonnera ainsi de comparer son interprétation des pièces de Berg, rendues de façon extrêmement sensible, jouées sur le fil, avec une fragilité et une émotion proprement bouleversantes, cependant que la Rhapsodie de Debussy manque sous ses doigts de finesse, pire, ne respire pas, sans compter que la captation extrêmement rapprochée des deux instruments confère au tout une aridité certaine.

Night music ensuite est réussi, ou du moins pleinement assumé par les interprètes, compte tenu de la qualité secondaire de cette musique vis-à-vis du reste du programme. Dans le même ordre d'idée, la Sonate de Poulenc nous montre une belle démonstration de virtuosité autant que de fraîcheur. Le Carter enfin, pour curieux qu'il soit, est porté avec une telle intensité qu'on se laisse agréablement porter.

Un terrain sur lequel nous étions curieux des talents de et que cet enregistrement comble conséquemment est celui de la composition ; il s'y révèle un musicien attentif aux sonorités des instruments, à leur potentiel. Quant à son inspiration, elle puise indéniablement dans tous les styles qu'il pratique, avec une tentation pour le primitif, nous entendons par là une décharge d'énergie pure, non éprouvée par l'exercice de la raison, ce qui se traduit par une attention portée tout particulièrement sur le rythme, ainsi que par de nombreux moments de climax débridés. Les Images tribales sonnent ainsi comme de la « musique barbare avec tout le confort moderne » ; on y décèle entre autres des textures empruntées au Kammerkonzert de Ligeti, ou encore au début de Vortex Temporum de Grisey. Le reste est à l'avenant, pas inintéressant, bien qu'on se dise que ce genre d'œuvre doive beaucoup mieux marcher en concert qu'enregistrées.

« Ne dis pas », pour conclure, est la contribution la plus développée de Florent Pujuila, qui rassemble fort sympathiquement l'ensemble des musiciens en clôture de disque. Elle consiste en une sorte de medley dont l'inspiration et les textures renvoient tant aux musiques contemporaines qu'au free jazz et au be-bop. À elle seule, cette pièce résume notre perception de « Mélismes » : une brillante « Pujuilade ».

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