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Arthur Rubinstein, ou la personnification même de Chopin

En cette année , il n'était pas question de passer sous silence cette réédition de gravures 78 tours de l'illustre pianiste polonais (1887-1982) qui s'est si bien identifié à son compatriote et compositeur de prédilection.

Bien sûr, les enregistrements les plus célèbres qui sont les plus récents, pour la plupart en stéréo, réalisés par RCA Victor et réédités de temps à autre par Sony-BMG, nous révèlent un Rubinstein à l'apogée de son art, jeune vieillard à qui s'offre la sagesse de l'âge, en une vision artistique épurée dont l'aboutissement est d'une souveraine simplicité. Les cycles des Polonaises, Mazurkas, Scherzos et Nocturnes y tiennent d'ailleurs une place de choix, mais il est absolument passionnant d'écouter et de leur comparer les toutes premières moutures des années 30 de ces mêmes cycles par cet interprète d'exception, qui nous le font découvrir dans la fougue et la puissante éloquence de sa pleine maturité – il avait alors près de cinquante ans – et de son incroyable virtuosité qui savait pourtant rester discrète.

Et peut-être est-ce d'ailleurs dans ces Polonaises, ces Mazurkas et surtout ces sublimes Nocturnes que Chopin traduit son univers le plus secret, le plus intime : les Nocturnes deviennent, sous forme de rêveries, le miroir de sa vie intérieure ; de même les Mazurkas relèvent de son inspiration sensible la plus personnelle sous forme de danse polonaise à trois temps, de tempo modéré ; enfin les Polonaises alternent fierté patriotique, vision épique, virile sensibilité ou profonde tristesse intérieure.

Toutes ces gravures des années 30 sont le témoignage d'une profonde remise en question : les débuts publics de Rubinstein en tant que pianiste remontent à Berlin en 1900, et dès lors, il accomplit une carrière internationale sensationnelle basée sur des facilités et des dons phénoménaux ; mais trop de facilité nuit, et son jeu devint néanmoins de plus en plus superficiel et inconsistant, surtout associé à une vie impossible… Selon les propos mêmes de Rubinstein, c'est Paul Dukas qui l'aurait sauvé en lui conseillant gentiment : «Amusez-vous tant que vous voulez, mais sans gaspillage. Paris ne vous vaut rien. Retournez donc en Pologne, refaites-vous une santé, morale et physique, buvez du lait, montez à cheval, dormez aux heures normales, devenez un homme, que diable !» Rubinstein suivit ces conseils, se maria, et ce fut une métamorphose : dès 1932, il réétudia tout son répertoire en le mûrissant, et rebâtit sa technique, entreprise héroïque de la part d'un artiste à la quarantaine bien sonnée, et qui surtout avait déjà goûté aux ivresses des succès publics.

Le résultat, le voici, impérial, dans ce coffret de la belle série «Icon» de EMI Classics, et d'ailleurs l'un des plus beaux. Nous n'y trouverons pas d'autres cycles de Chopin, tels que les Ballades, Études, Impromptus, Préludes, Valses : Alfred Cortot venait de les graver, et la firme britannique au petit chien terrier n'avait probablement pas l'intention de réenregistrer tout ce répertoire sous les doigts de Rubinstein. Ce dernier nous en léguera des versions incomparables plus tard (sauf les Études), chez RCA Victor.

Son partenaire à la direction d'orchestre est ici l'excellent Sir John Barbirolli, chef particulièrement apprécié par nombre de solistes qui gravaient des concertos, ou de chanteurs à cette époque chez His Master's Voice (Cortot, Elman, Heifetz, Kreisler, Menuhin, Milstein, Piatigorsky, Schnabel, Gigli, Leider…) On peut toutefois regretter cette pratique coutumière désastreuse (qui s'est perpétuée jusqu'il y a peu) d'amputer drastiquement les introductions orchestrales de chacun des deux concertos, d'autant que la coupure relative au Concerto n°1 en mi mineur op. 11 est particulièrement boiteuse dans cette exécution ; on se plaint souvent de la pauvreté des orchestrations de Chopin, mais ce n'est pas nécessairement une amputation qui les améliore…

 : justesse d'expression naturelle et spontanée sans artifices, vigueur sans attitudes factices, interprétations pures, fines et subtiles, riches et sobres, exemptes d'emphase… Que dire de plus ? …

Transferts en CD honnêtes, mais l'éditeur aurait pu mieux doser un filtrage qui donne à certaines pages (peu nombreuses, heureusement !) une sonorité légèrement artificielle au piano et à l'orchestre, surtout dans les pianissimi.

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