- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Suivront mille ans de calme : après l’Apocalypse

Créé dans le cadre de l'année France-Russie, ce projet de coopération entre le Théâtre du Bolchoï et le réunit vingt danseurs dans une production ample et efficace.

Après la narration de Siddharta, ballet créé au printemps dernier pour le Ballet de l'Opéra de Paris, le chorégraphe revient pour sa propre compagnie à un ballet plus abstrait, aux lignes géométriques et rigoureuses. Un travail des lignes nickel et millimétré qui n'exclut pas la fantaisie et le baroque de créatures sorties de l'imagination de Jean l'Evangéliste écrivant L'Apocalypse. , affichant depuis toujours un certain goût pour les figures mystiques ou religieuses, s'est en effet emparé de ce texte d'anticipation avec délices. Sans en faire une lecture littérale, il transforme cette vision allégorique de la fin des temps en livre d'images fantastiques et puissantes.

Efficace, il frappe fort dès le début du spectacle, provoquant chez le spectateur un effet de sidération, renforcé par la stridence – par intermittence – de la musique très lisible composée par le DJ Laurent Garnier. Les séquences de groupe, rassemblant dix ou vingt danseurs, témoignent du savoir-faire chorégraphique d' depuis ses premières pièces dans les années 1980. On pense tout particulièrement à A nos héros, en 1986, et Hallali Romée, en 1987. Parallèlement, il multiplie dans Suivront mille ans de calme les duos féminins ou masculins d'une grande richesse stylistique et d'interprétation. Dans chacun d'entre eux, l'harmonie naît, entre autres, de la dissymétrie des corps. Un seul duo rassemble un homme et une femme – liane aux cheveux longs, devant un vaste panneau d'inox martelé, pour un corps à corps tentateur et sauvage. Superbe !

Ces panneaux sont signés du plasticien indien Subodh Gupta, qui réalise une scénographie subtile dans la première partie, où seuls quelques accessoires traversent le plateau (livres, chaises), plus marquée dans la seconde partie, avec ces quatre murs en métal qui scindent l'espace du plateau, le fragmentent ou au contraire le réunissent. On y retrouve aussi le recours aux objets quotidiens indiens qui caractérisent le travail de l'artiste : bassines, tasses, ustensiles de cuisine en inox ou en fer blanc. Les costumes de Igor Chapurin, du pseudo uniforme kaki aux robes feuilletage en mousseline blanche, répondent à la variété des sources d'inspiration à la fois du chorégraphe et du scénographe.

Les tableaux se succèdent – foisonnants. Une étonnante et belle traversée orientalisante de vingt danseurs munis à chaque main et dans la bouche de livres reliés de cuir bordeaux. Le feuilletage compulsif de carnets, posés sur les genoux de danseurs déshumanisés, assis sur des chaises de métal. Dans sa soif d'images, frappant la rétine, Angelin Preljocaj sait utiliser tous les registres, de la blonde de cabaret au défilé de mode arty. Mais l'une des séquences les plus subversives est sans conteste celle où les danseurs, drapés de drapeaux du monde entier, composent des tableaux vivants issus de l'imagerie de la luxure et de la débauche. Ces mêmes drapeaux, dont ils sont revêtus, seront lavés dans une grande lessive purificatrice, puis essorés et étendus sur le sol pour le jugement des nations. Il ne manquait plus que l'agneau, deux agneaux, pour que le symbole soit complet.

Crédit photographique : © JC Carbonne

(Visited 642 times, 1 visits today)