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Octobre d’Eisenstein, Douzième de Chostakovitch, le choc

Cycle Lénine, Staline et la musique

«Si mes œuvres ne m'avaient pas plu, je ne les aurais pas écrites, de toute manière, les parents considéreront toujours leur enfant comme le plus merveilleux du monde». * Ainsi Chostakovitch défendait son corpus symphonique qui ne faisait jamais l'unanimité. Le régime soviétique chérissait les œuvres à programme officiel et au langage accessible – les Symphonies n°7 «Leningrad», n°11 «1905» et n°12 «1917», tandis que l'Occident leur préférait les œuvres de résistance, le pessimisme de la n°8, le portrait au vitriol de Staline de la n°10, la dénonciation de l'antisémitisme de la n°13 «Babi Yar».

Dans les années 1960, Grigori Alexandrov qui avait co-signé avec Eisenstein un important manifeste sur le contrepoint image-son en 1928, sonorisa le film avec des œuvres alors récentes de Chostakovitch, les Symphonies n°11 et 12 et le Concerto pour violoncelle n°1. Or c'est précisément la Symphonie n°12, composée en 1961 et unanimement considérée à l'Ouest comme la plus faible des symphonies de Chostakovitch – acceptée au mieux comme une compromission nécessaire et imposée au compositeur par le régime – qui constitue l'épine dorsale de l'illustration sonore d'Octobre. En accompagnement, réponse ou en décalage aux images brûlantes du film d'Eisenstein, c'est un choc.

Durant toute la projection, avec au pied de l'écran un Orchestre National d'Ile-de-France qui semble soulevé par l'enthousiasme de la cause prolétarienne bolvéchique, anti-trotskyste, et anti-menchévique – à moins que ce ne soit par la direction experte de – on se pose la même question : qui dévoie qui ? Qui dupe qui ? D'où viennent la beauté et l'efficacité effrayantes de cette propagande ? Eisenstein et Chostakovitch ont-ils accompli consciemment leurs obligations d'artistes du peuple ? Les ont-ils détournées à leur profit, mettant en avant l'individualité de leur force créatrice au mépris des valeurs collectives ? Ou ont-ils été dépassés par leur propre énergie créatrice, donnant à leur œuvre une expression d'un impact incontrôlé?

C'est à vrai dire toute la problématique du grand cycle «Lénine, Staline et la musique» consacré par la Cité de la Musique à partir de cette soirée d'ouverture et qui se poursuivra jusqu'au 16 janvier 2010. Après le cycle «Le IIIème Reich et la musique» en 2004 dans ces mêmes lieux, le mystère des complexes relations entre musique et politique n'a pas fini de fasciner.

* Entretien avec Irina Chostakovitch, «Deuxième partie, Dimitri face à son œuvre»

Crédit photographique : affiche du film Octobre par Yakov Rouklevksy, 1927 © Moscou, Musée historique d'Etat

 

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