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Le festival d’automne à l’heure russe

Prolongeant la thématique de la Cité de la Musique où vient de s'ouvrir la très belle exposition Lenine / Staline et la musique, le Festival d'Automne consacrait une soirée à la musique russe d'hier et d'aujourd'hui : un éclairage passionnant sur une lignée de compositeurs fort peu joués et magnifiquement défendus ce soir par l'Ensemble Asko׀Schœnberg et son chef qui assurait aussi la partie de piano dans la deuxième partie de concert.

La soirée débutait par la jeune génération dont les personnalités nous sont désormais mieux connues depuis la résidence parisienne de , l'un des membres fondateurs du «Structural Resistance Group (StRes) – structure libre destinée à la promotion des musiques d'aujourd'hui en Russie – à laquelle se rallient également et , les deux compositeurs présents et honorés ce soir. A l'écoute de Aus dem stillen Raume (de l'espace calme et silencieux), une création de , on perçoit cette attention à la matière et à la qualité des textures d'une oreille formée dans le studio de musique électronique de Cologne. L'élaboration d'une matière fragile, «l'idée d'un flux entre matière et silence» jouant sur des procédés d'effacement très subtils laisse affleurer l'émotion durant les quinze minutes d'une partition éminemment bien conduite. Le propos est tout autre dans Words & spaces de , un compositeur au caractère bien trempé qui vient défendre sa musique sur scène dans cette position improbable autant qu'inouïe du crieur/performer qu'il assume avec un engagement saisissant : «… la plupart de mes œuvres vocales ne cherchent pas à exprimer quoi que ce soit, mais traitent du simple fait d'être». s'empare du texte de The Last Words of Dutch Schultz (les dernières paroles hallucinées d'un malfrat abattu par balles dans un bar des années 1930 exploitées également par William Burroughs) pour le modeler à sa guise afin qu'il lui colle à la peau. L'environnement instrumental (des vents et une contrebasse) lui confère son amplification par le biais des doublures, des commentaires sonores ou des relais agencés avec une précision d'écriture et une efficacité qui ne laissent certainement pas indifférent.

Suivaient quelques pages très rares du mystique , «presque inconnu en Russie» déclare Filanovsky interviewé par Jérémy Szpirglas dans les notes de programme. A l'instar de son compatriote Ivan Wychnégradsky, il choisira très tôt la France comme terre d'exil au point d'être désigné en Russie comme «un compositeur français d'origine russe». Les Quatre chansons sur des poèmes de Constantin Balmont, bien défendues par la voix singulière et très timbrée de , sonnent avec beaucoup de chaleur dans la version instrumentée par Elmer Schönberger. Bien plus étrange est la longue méditation mystique d'Izstuplenie (abandon ou départ) désignant l'extase des mystiques russes qu'Obouhov ponctue par l'intervention d'un chœur d'hommes. L'arrangement instrumental d'Elmer Schönberger (quasi nécessaire vu l'état des partitions laissées par le compositeur !) s'oriente ici tellement délibérément vers les couleurs de Messiaen voire de Stravinsky qu'elle finit par masquer le geste originel sous un habillage par trop référentiel.

La seconde partie nous plongeait dans l'œuvre étonnante de la compositrice Galina Ustvolskaya, dès l'entracte d'ailleurs, avec le film documentaire de Josee Voormans Un cri dans l'univers projeté dans l'espace public de l'Amphithéâtre. Elève de Chostakovitch avec qui elle entretiendra des relations étroites d'amitié et de spiritualité de 1939 à 1947, «la femme au marteau» comme la surnomma Elmer Schönberger sera, sinon poursuivie, du moins ignorée en URSS jusqu'en 1968. Les trois Composition(s) aux résonances liturgiques- Dona nobis pacem, Dies Irae et Benedictus qui venit – que donnait ce soir l'Asko/Schœnberg avec une rigueur quasi cérémonielle, convoquent des formations aussi atypiques que flûte piccolo, tuba et piano (composition n°1) ou encore huit contrebasses, percussions et piano (composition n°2). Dans ce Dies irae implacable – dédié à , son interprète privilégié -, le percussionniste assène des coups de marteau sur une sorte de cercueil de bois avec une détermination quasi fanatique (et typiquement pétersbourgeoise, dit-on) dont le caractère primitif, obsessionnel et répétitif relève assez clairement du tourment chostakovien.

Crédit photographique : © Supplied

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