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Hans Knappertsbusch, le temps d’un titan

Wagnérien illustre, était un chef typique de la première moitié du vingtième siècle. Connu pour ses tempi retenus à l'extrême et sa phobie des répétitions, il reste pourtant un artiste majeur de l'histoire musicale. La parution d'un coffret d'archives est l'occasion de se replonger sur sa vie et son art.

voit le jour, en 1888, à Elberfeld (désormais un district de Wuppertal). Il étudie la philosophie à l'université de Bonn et la direction d'orchestre au conservatoire de Cologne avec Fritz Steinbach.

La carrière de Knappertsbusch est caractéristique de l'école allemande où l'on monte pas à pas, l'échelle vers les sommets. Lors des festivals de Bayreuth 1910-1912, le jeune homme devient l'assistant des chefs d'orchestre et Hans Richter. L'expérience est fondatrice d'une dévotion totale à l'œuvre de Wagner. Il est ensuite désigné Kapellmeister dans des villes secondaires : Elberfeld (1913-1918) et Dessau (1920-1922) et passe même brièvement par Leipzig (1918-1922). Le premier temps important de cette carrière est la succession, en 1922, de Bruno Walter à la tête de l'Orchestre de Bavière à Munich. Le poste est aussi prestigieux qu'important car le chef assure la supervision des saisons d'opéra mais aussi des concerts symphoniques de l'orchestre. Qui plus est Munich est une cité intensément wagnérienne. Mais Munich est aussi l'une des villes d'émergence du nazisme et l'affirmation d'Hitler le marginalise car le chef refuse d'adhérer au parti nazi. Les fascistes voulant faire de Munich un centre culturel dévoué à leur idéologie, ils déposent Knappertsbusch de ses fonctions. En guise de punition, le régime lui interdit de se produire en Allemagne ! Si le chef ne supportait pas toute ingérence du politique dans les affaires artistiques, il n'aimait pas les nazis. Alors que l'ambassadeur d'Allemagne aux Pays-Bas lui demandait s'il était un «nazi obligé ou un nazi convaincu», il lui répondit que l'un était un Schweinebund (un salaud) et l'autre un Schweinerei (une saloperie).

Le chef met alors le cap sur Vienne où, en avril 1936, il dirige pour la première fois au Staatsooper. Erwin Kerber, l'Intendant, le nomme aussitôt Premier chef invité et lui confie, de manière officieuse, la direction artistique de l'opéra. Dès 1937, il devient un hôte privilégié de la philharmonie de Vienne et participe activement au festival de Salzbourg. Avec l'annexion de l'Autriche, en 1938, le chef doit à nouveau compter avec les nazis. Ces derniers révisent leur attitude et autorisent le chef à diriger en Allemagne, à l'exception de la Bavière. reste inflexible et refuse toujours de prendre sa carte au parti nazi ; il refuse même le poste de Directeur du Staatsoper de Vienne qui lui propose le Gauleiter de Vienne, Baldur von Schirach. Mais, il ne renonce pas à toutes les demandes du régime et il assure, entre 1941 et 1944, des tournées de la philharmonie de Berlin en Europe.

La défaite des régimes fascistes lui permet de rentrer à Munich en août 1945 où il est rétabli dans ses fonctions d'avant 1936. Ce mandat ne dure que deux mois car les forces américaines le considèrent alors comme un collaborateur des nazis et lui interdisent de se produire en public. L'interdiction prend fin, début 1947 mais le chef n'accepte plus de prendre des fonctions fixes. Il voyage à travers l'Europe et dirige dans ses bases traditionnelles de Munich, Berlin, Bayreuth, Salzbourg et Vienne.

A Berlin où le chef est un invité régulier, il doit compter avec l'hostilité d'un jeune homme aux dents longues Herbert von Karajan. Ce dernier ne l'avait pas invité alors qu'il était à la tête de l'opéra de Vienne et continue son hostilité à Berlin. Le chef monte donc, pour la dernière fois au pupitre du philharmonique de Berlin, le 16 avril 1957. Tout comme avec Furtwängler, Karajan semble régler ses comptes avec une certaine idée du métier. Chef traditionnel, au style caractéristique de la première moitié du XIXe siècle, tout l'opposait au fan de technologie qu'était Karajan.

Mais c'est à Bayreuth que le chef rayonne, dirigeant Le Ring et Parsifal alors que Decca lui signe un contrat d'exclusivité. Les équipes du label anglais posent, dès 1951, leurs micros pour capter les performances de Parsifal et du Ring (même si le Ring n'est alors pas édité). Le chef décède, à Munich, en 1965. Hans Knappertsbusch est passé à la postérité comme un interprète incontournable de Wagner dont il savait rendre les lenteurs hypnotiques mais on garde aussi de lui l'image d'un chef fuyant les répétitions, souvent peu précis et qui dirigeait avec une grande lenteur les symphonies du répertoire.

Après des coffrets consacrés à Gulda et Furtwängler, le label Audite nous offre une boite de 5 CD dédiés à Hans Knappertsbusch. Le commentateur est doublement ravi car la discographie du chef, en dehors de ses opéras de Wagner, est sinistrée et laissée à l'initiative de labels peu scrupuleux ! Mais surtout, Audite est un label sérieux qui collabore avec les archives de la radio de Berlin pour offrir les meilleures interprétations dans un résultat technique parfait.

Dès lors ce coffret donne une bonne image du style du chef avec de belles surprises. Souvent raillé pour ses lenteurs, Hans Knappertsbusch n'est pas toujours un chef qui dirige mollement ! Ses Bruckner sont ainsi altiers, conquérants et brassés ! La notice de présentation nous apprend même qu'Hans Knappertsbusch est plus rapide que Günter Wand ! Mais cela n'est pas d'importance car le chef est un représentant de la haute époque des brucknériens (Kabasta, Von Hausegger, Fürtwangler) qui animent la pâte orchestrale avec des effets cursifs, des variations de tempo et des contrastes très marqués ! Les deux versions de la symphonie n°9 donnent une idée de cette approche à la fois hors du temps mais foncièrement pugnace et passionnante. Le cas de la symphonie n°8 est plus problématique car le chef utilise la détestable révision Franz Schalk, par ailleurs le musicien se fait plus wagnérien dans un geste assez épais.

Autres lectures fascinantes, les deux versions de la symphonie «inachevée» de Schubert avec des couleurs sombres et des ombres fantomatiques à la fois si romantiques et si visionnaires (une sorte de pré-Bruckner).

La lenteur est au cœur de l'interprétation de la symphonie n°8 de Beethoven. Tout est étrange dans cette interprétation tellurique dans ses effets et ses contrastes mais au bord du décrochage dans les choix des tempi. On est en présence d'une lecture inclassable et même incroyable ! Il en va presque de même avec une symphonie n°94 de Haydn, très imposante mais légèrement moins figée de la symphonie de Beethoven.

Mais la surprise vient des miniatures viennoises et russes. Dans la suite du Casse-noisette de Tchaïkovski, Hans Knappertsbusch, cerne avec sens de la chorégraphie, des couleurs et du rythme, le ton de la pièce ! C'est à la fois simple et efficace. Mais le grand délire vient des partitions légères viennoises, parfois massives mais parfois complètement déjantées comme ce Bad'ner Mad'In de Karel Komzak où l'on se demande si le chef n'a pas forcé sur la bière tant le «pétage de plomb» orchestral est saisissant.

Si l'on doit juger ce coffret par rapport à la discographie des œuvres seule la symphonie n°9 de Bruckner serait certainement encore considérée comme une référence. A une époque qui vénère l'authenticité musicologique au delà du raisonnable, l'art de Hans Knappertsbusch semble même provocateur ! Il n'empêche, il est important d'écouter ce grand chef, témoin d'une époque à jamais révolue de l'art musical.

Crédit photographique : © DR

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