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Le diable saxon en sa gloire

/ Archipels

C'est un programme festif et revigorant, comme une gourmandise musicale propre à repousser toute mélancolie que proposaient en ce beau dimanche automnal sur les berges de la Garonne. Légère et d'une écoute aisée, la musique instrumentale et sacrée de Hændel attire un large public dans cette imposante église du XIXe siècle en briques roses, bien que son interprétation soit beaucoup plus complexe.

Compères d'étude, qui firent leurs premières armes dans le chœur d'Alix Bourbon, et travaillent fréquemment ensemble et ils ont l'habitude d'échanger la baguette entre le chœur et l'orchestre. Pour ce programme comportant deux concertos grosso et deux Anthems pour la chapelle du très riche duc de Chandos, ils se sont partagé la direction, le vocal pour et l'instrumental pour .

Dans le pétillant concerto en do majeur Alexander Feast, on est sensible aux belles couleurs et à l'équilibre sonore de l'orchestre sous la direction très articulée et toujours sobre de , qui refuse tout effet de théâtralité. Le violon de Fabio Losco dialogue brillamment avec le magnifique hautbois de Clémentine Humeau, qui possède une vraie personnalité. Dès l'ouverture Haendel nous invite à la fête. Plus développé le Concerto grosso op. 3 n°2 impose un rythme enlevé que l'orchestre soutient parfaitement. Le 2e mouvement offre de réels moments de grâce lorsque les deux violons concertants babillent avec le hautbois très en verve, soutenu par le basson de Nicolas André et l'élégant violoncelle d'Etienne Mangot. Comme souvent chez Haendel, on aimerait que cette musique si plaisante à l'oreille ne s'arrête pas…

Henry James Bridges, premier duc de Chandos vécut une décennie de gloire et de munificence entre 1710 et 1720, en tant que trésorier-payeur des forces anglaises stationnées à l'étranger pendant les guerres de succession d'Espagne, qui troublèrent l'Europe au début du XVIIIe siècle. Un revers de fortune postérieur le fit ensuite disparaître dans l'anonymat. Il menait grand train au point d'impressionner Daniel Defœ, qui le mentionna dans son Périple à travers toute l'île de Grande-Bretagne en 1725 et édifia l'un des plus somptueux palais londonien. Il put toutefois s'offrir la collaboration de Haendel entre 1717 et 1718, lequel composa Acis et Galathée, Esther, un Te Deum et onze anthems dédiées à ce puissant seigneur. Les textes de ces hymnes joyeuses puisent largement dans le rituel de l'Église anglicane et les psaumes qu'il utilise.

L'ensemble Archipels forme le chœur à quatre voix que requièrent la 7e et la 11e anthems. Il s'agit de l'atelier vocal du fameux chœur de chambre Les Éléments, qui est constitué d'étudiants en chant et en musicologie, d'enseignants et d'amateurs confirmés. Au-delà d'un chœur amateur, cette formation présente un niveau musical remarquable, galvanisé par la direction de , qui dirige les deux ensembles.

Comme à son habitude, Haendel réutilisa l'entraînante ouverture de la 7e anthem My song shall be alway dans le 1er mouvement du concerto grosso op. 3 n°3. Au XIXe siècle, cette anthem doit sa célébrité à un trio Thou rulest the raging of the sea dont il fut récemment démontré qu'il avait été vraisemblablement ajouté a posteriori par John Peppush ou Nicola Haym, membres permanents de la chapelle du duc. Par souci d'authenticité, Joël Suhubiette a supprimé ce trio, ce qui ne nuit en rien à la brillante cohérence de l'œuvre où le chœur donne toute sa mesure.

On retrouve avec plaisir la soprano , fidèle aux Passions avec plusieurs enregistrements communs (Scarlatti, Porpora…). Cette icône du monde baroque possède une voix toujours aussi fraîche, se jouant de toutes les difficultés techniques avec des phrasés d'une grande finesse. Le ténor Marc Manodritta, le haute-contre Frédéric Bétous et la basse Antonio Guirao complètent avec délicatesse le quatuor soliste dans des ouvrages où le rôle principal est tenu par le chœur.

Dans l'anthem n°11 Let God arise, les souffleurs sont toujours à la fête dans la symphonia d'ouverture, tandis que le chœur surmonte une écriture très rythmée. Les interventions d', qui vocalise avec allégresse, nous ravissent et Marc Manodritta nous transporte avec l'air subtil Like as the smoke vanisheth. Notons que pour les deux anthems dirigées par Joël Suhubiette, Jean-Marc Andrieu chantait dans le chœur parmi les ténors, renouant ainsi avec ses années d'études selon un plaisir avoué. Il reprenait la tête de l'ensemble pour diriger en rappel le chœur final de la 11e anthem sur une grande fugue chère à Hændel.

À la sortie, le public encore habité de cette musique glorieuse, affichait des mines sereines et réjouies.

Crédit photographique : Joël Suhubiette © Alain Huc de Vaubert

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