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Vienne-Thielemann : intégrale Beethoven III et IV

L'ont-ils fait exprès en programmant les deux extrémités du cycle beethovénien pour les deux derniers concerts de cette série, les trois premières symphonies le samedi, les deux dernières le lendemain, mais et les Philharmoniker nous ont ainsi réservé le meilleur pour la fin, se montrant nettement plus constants, convaincants voire même enthousiasmants que lors des deux premières soirées.

Si nous avions trouvé lors des premiers concerts quelques points qui nous avaient laissés sur notre faim, tel l'équilibre entre les cordes et le reste de l'orchestre, le rôle des timbales, les respirations et changements de tempos parfois surprenants ou un peu abrupts, il faut reconnaître que tout était monté d'un cran si ce n'est plus dès le début de la Symphonie n°1 pour ne plus jamais redescendre jusqu'au Prestissimo final de la Symphonie n°9. Que ce soit avec une configuration à cinquante cordes pour les deux premières symphonies, ou soixante pour les trois autres, plus aucun problème d'équilibre entre cordes et bois n'était perceptible, et, cerise sur le gâteau, l'ensemble de l'harmonie avait retrouvé un caractère chantant et expressif, en particulier grâce à des phrasés qui avaient quitté leur chaste neutralité pour devenir plus directifs. Le chef n'avait pas pour autant renoncé à utiliser toutes les ressources que lui offrait son orchestre en terme de nuance de tempo et de dynamique, ses deux armes de prédilection habituelles, mais il les utilisa d'une façon qui nous a paru nettement plus naturelle et fluide, toujours orientée dans le sens de la marche, et il apporta plus de justesse dans les toujours si difficiles transitions entre chaque section (que bien des interprètes, plutôt que de les affronter, zappent tout simplement). Ainsi nous eûmes droit à des interprétations bien plus consistantes, à la densité sonore toujours profonde mais cette fois-ci sans évidentes traces de lourdeur, porteuse d'une vraie force expressive, aux choix interprétatifs assumés avec panache.

On se disait que les symphonies n°3 et n°9 par leur ampleur naturelle allaient sans doute être les points forts de ce cycle, la belle surprise fut de constater que les deux premières étaient d'emblée épatantes. Thielemann sut leur donner sens et direction, regardant évidemment vers l'avenir, c'est à dire la neuvième symphonie, et non vers le passé, Haydn ou Mozart. Ses choix de tempos franchement allants, voire vifs dans les scherzos (même s'il porte encore le nom de menuet dans la première) et finals s'imposaient sans difficulté. Dans les premiers mouvements il trouva un ton à la fois noble et élégant, tout en donnant une incontestable ampleur au discours.

La Symphonie n°3 qui suivit fut grande, immense flux musical vivant, palpitant, organique comme rarement, libéré du carcan de la barre de mesure et du métronome, peut-être tout simplement la plus convaincante «Eroïca» que nous ayons entendue en concert depuis longtemps. Thielemann réussit une des gageures de ce génial opus, ne jamais perdre la grande ligne et le sens de chaque mouvement, sans sacrifier le détail. Les moments de suspens qui avaient manqué aux deux premiers concerts étaient bien présents ce soir. La Marche funèbre fut un grand moment grâce au tempo très retenu mais toujours habité, chose très difficile à réussir mais payante quand on y parvient. La monté en puissance de ce mouvement était impressionnante comme le sera la désagrégation progressive du tissu musical jusqu'à son extinction, symbole de la mort du héros. Là pour le coup, on l'a rarement entendu réussie à ce point en concert, plus de la moitié des chefs ne s'y essaient même pas. Les deux derniers mouvements, très vifs, achevaient en beauté une interprétation à garder en mémoire, où le seul reproche serait peut-être un niveau de décibels un peu élevé, respectant toutefois les nuances (ce qui est essentiel).

On ne détaillera pas la réussite de la Neuvième où nous retrouvions tout ce qui avait fonctionné la veille. Là encore on félicitera le chef dans ses choix de tempo, où il ose et réussit, ce qui n'était pas gagné d'avance, la lenteur comme la vigueur, à l'image du modèle qu'on est bien obligé d'évoquer ici, . Il est un des rares à oser prendre et tenir un tempo «furtwänglerien» dans l'Adagio, tempo que le Philharmonique de Vienne porte comme peu d'orchestres en seraient sans doute capables. Un quatuor vocal vaillant et un chœur de radio-France en grande forme complétaient la distribution de cette puissante Neuvième. La Symphonie n°8 qui la précéda le dimanche après midi fut instrumentalement aussi réussie, mais musicalement un peu trop uniment austère, sans la petite touche d'humour qui donne tout son caractère.

Voilà donc ce cycle Vienne-Thielemann achevé en beauté. La première moitié avaient des hauts et des bas, et n'étaient pas exemptes de critiques. Et si esprit et style interprétatif restèrent constants d'un bout à l'autre, favorisant la grande ligne, le souffle au long cours, la trajectoire de chaque œuvre de la première à la dernière note, les réussites exemplaires des Symphonies n°1, 2, 3 et 9 montrent avec éclat que ça marche encore.

Crédit photographique : © Kasskara / Deutsche Grammophon

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