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L’enlèvement du… Kurdistan

«Un Opéra en mouvement», c'est le thème de la saison 2010/2011 à l'Opéra de Cologne. Depuis longtemps, on avait annoncé des travaux de rénovation au théâtre principal à partir de septembre 2010. La direction a donc opté pour un modèle innovateur : l'Opéra à la rencontre de son public, là où il habite.

Différents endroits ont été choisis aux quatre coins de Cologne, la programmation a été annoncée – avant que la ville n'annonce que les travaux ne commenceront pas avant automne 2011 ! Plusieurs contrats étant déjà signés l'Opéra n'a pas pu faire demi-tour. Si certaines productions ont lieu dans la grande salle, d'autres ont dû déménager tout de même, comme cet Enlèvement du Sérail donné au «Palladium», ancienne structure industrielle au Nord de la ville.

A vrai dire, l'enlèvement du Kurdistan aurait été un titre plus approprié pour cette nouvelle production. Vu le fait que le «Palladium» est situé dans un quartier à forte influence turque, a transposé l'opéra mozartien au Kurdistan de nous jours. Selim est un chef de tribu kurde, résidant dans un palais en ruine et faisant son petit business avec des kalachnikovs. Et – il parle kurde ! Parfois ses propos sont traduits par Osmin, mais trop souvent le public ne comprend pas un traître mot de ce qu'il dit. Dommage – car ainsi, ce personnage essentiel pour le déroulement de l'action reste énigmatique. Pourquoi renonce-t-il finalement à la vengeance ? On ne le saura pas…

Fort heureusement, c'est l'unique bémol d'une mise en scène somme toute très réussie. Car Laufenberg connaît bien son métier – notamment dans le domaine de la direction d'acteur. Habilement, il utilise les caractéristiques de la salle pour faire quitter ses protagonistes, plus d'une fois, le strict cadre de la scène. On sent le parfum de la «Ruhrtriennale». Même les airs les plus longs ne souffrent jamais d'un vacuum scénique – sans que Laufenberg sombre dans un actionnisme gênant. Le fameux «Martern aller Arten» devient ainsi un cauchemar de Konstanze imaginant sa propre lapidation – certainement le moment le plus fort de la soirée.

Musicalement aussi, le bilan est positif. , chef réputé dans la musique baroque et (pré-)classique, fait sonner le Gürzenich-Orchester comme une formation de spécialistes. Tour à tour vibrante et douce, sa direction s'adapte idéalement aux charme un peu austère de la salle. Brad Cooper, jeune ténor australien au timbre particulièrement séduisant, campe un Belmonte tout en demi-teintes, triomphant par ailleurs avec facilité des vocalises périlleuses de son dernier air. A ces côtes, – initialement prévue comme Blonde, mais remplaçant souffrante – incarne une Konstanze extrêmement juvénile, fragile presque. Vocalement, en revanche, elle ne rencontre aucune difficulté ni dans les lyrismes de «Traurigkeit» ni dans les prouesses acrobatiques des deux autres airs. Blonde idéale scéniquement, Csilla Csövári fait valoir un timbre de soubrette un rien aigrelet par moments, mais aussi un suraigu très sûr. Son Pedrillo est en bonnes mains chez John Heuzenrœder – malgré quelques aigus un peu poussifs dans «Auf zum Kampfe». Reste le cas de . Silhouette et voix impressionnante, il campe un Osmin méchant, aux limites de la brutalité. Le timbre pourtant manque de noirceur – et le ré grave n'est guère audible.

Le public, déjà avare d'applaudissements pendant la représentation, salue mollement la prestation de cette jeune troupe. Dommage, car les chanteurs auraient mérité mieux.

Crédit photographique : Matthias Friedrich (Osmin), Brad Cooper (Belmonte) ; Brad Cooper (Belmonte), John Heuzenrœder (Pedrillo), Ihsan Othmann (Bassa Selim) © Paul Leclaire

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